(Répétition sans changement d'une dépêche transmise vendredi)

* *L'inflation n'a pas disparu et rogne le pouvoir d'achat

* *Le renforcement de la concurrence freine la hausse des prix

* *Le "pricing power", facteur de performance - gérants

PARIS, 15 avril (Reuters) - Ce n'est pas le moindre paradoxe du moment: la faiblesse persistante de l'inflation pousse les banques centrales à l'assouplissement quantitatif permanent et les investisseurs à une quête sans fin de rendement dans laquelle la capacité des entreprises à augmenter leur prix fait figure de nouveau graal.

Pour faible qu'elle soit, l'inflation n'est pas indolore d'autant que la hausse des prix publiée ne correspond pas toujours à l'inflation éprouvée.

"En fin de compte, l'inflation est toujours le véritable ennemi de l'investisseur. Une inflation de 2% par an pendant une décennie détruit 35% de pouvoir d'achat", rappelle Neil Dwane, stratégiste global d'Allianz Global Investors.

"Si vous voulez maintenir le pouvoir d'achat de vos avoirs, ils doivent vous rapporter au moins 2% par an et encore la hausse des prix des soins de santé est plutôt de 6% à 8% par an tandis que celle des produits de luxe est de 8% à 10%, mais dans ce dernier cas, à chacun ses choix de vie", poursuit-il.

Pour lui, la transparence et la comparabilité des prix permises par internet réduisent la possibilité pour les entreprises de majorer leurs prix d'autant que beaucoup des biens et des services que nous achetons n'ont rien d'unique.

Gérard Moulin, gérant du fonds Amplegest Pricing Power et créateur en 2004 du premier fonds français d'investissement dédié à cette thématique d'investissement, constate aussi "qu'après une phase de 'mondialisation heureuse' nous sommes entrés dans une période plus contrastée où la progression des connaissances dans les grands pays émergents et l'arrivée des géants du net ont créé au fil des années un monde d'une intensité concurrentielle beaucoup plus forte."

TRÈS PEU D'ÉLUS

En conséquence, l'évolution de la croissance mondiale n'est plus un indicateur fiable des taux de croissance des groupes mondialisés, prévient-il. Leur développement dépend désormais avant tout de l'intensité concurrentielle sur leur secteur.

Il note d'ailleurs qu'un certain nombre de grands noms des indices boursiers occidentaux ne parviennent plus à générer une croissance interne satisfaisante dans les reprises de cycle.

Dans ce contexte, la capacité d'une entreprise à fixer ses prix est déterminante.

"Les secteurs dont les prix baissent sous-performent sur le long terme", souligne-t-il prenant l'exemple de la téléphonie mobile, du transport aérien en Europe ou de la grande distribution à l'échelle mondiale.

"Peu d'entreprises ont la capacité de maîtriser leurs prix sur longue période et en Bourse, ce sont les secteurs concernés par le pricing power qui tirent largement leur épingle du jeu depuis dix ans", souligne-t-il.

"Accompagner les champions du pricing power en tant qu'investisseur permet d'atteindre un niveau de performance relativement élevé", selon lui.

Mais il note aussi que sur la base des critères appliqués par Amplegest pour sélectionner les entreprises en capacité de maîtriser leurs prix, à peine 3% de l'univers des valeurs européennes sont concernées.

Le fonds qui compte en moyenne une trentaine de ligne a notamment en portefeuille Nestlé, LVMH, Heineken, Kering, Ferrari, Pernod Ricard, Orpea, Thales ou AB InBev .

MARQUES, STRUCTURE DE MARCHÉS ET MIX-PRODUIT

L'investissement dans la marque ou le portefeuille de marques est un des déterminants de la capacité à fixer les prix. Une paire de lunettes sortie de la même usine avec des spécifications techniques quasi-identiques peut se vendre quatre fois plus chère sous une marque de luxe que sous une griffe moins établie, le rapport sera comparable pour un mécanisme de montre pour homme, explique Stanislas Coquebert de Neuville, analyste et gérant chez Lazard Frères Gestion.

Mais la marque ne fait pas tout et dans le secteur des lessives, son effet multiplicateur sur le prix de vente est généralement d'une fois et demi par rapport à un produit vendu sous marque blanche.

Le "pricing power" bénéficie aussi de l'effet mix quand les consommateurs sont dans une dynamique de montée en gamme, note Stanislas Coquebert de Neuville. Il prend ainsi l'exemple du marché de la bière dont les volumes vendus à l'échelle mondiale ne progressent qu'à peine (entre 0% et 1% l'an) alors que la croissance organique des grands brasseurs est de l'ordre de 5% à 6% actuellement.

"Cela veut dire que le différentiel, c'est du prix. Pourtant ce ne sont pas des groupes qui montent les prix de manière très agressive et il s'agit donc bien d'un effet mix avec des consommateurs qui veulent des bières de meilleure qualité qu'ils sont prêts à payer plus chères parce qu'elles leur évoquent quelque chose… ce qui implique là encore beaucoup de travail sur les marques."

La structure de marché et le degré de concentration jouent aussi un rôle déterminant dans le "pricing power".

"Les marchés avec beaucoup d'acteurs ou beaucoup de nouveaux entrants potentiels sont plus difficiles", relève Stanislas Coquebert de Neuville qui ajoute que la situation peut varier en fonction des géographies.

CEREALES CONTRE SMOOTHIES

"L'alimentation aux Etats-Unis est un marché sujet aux modes et il est donc en perpétuelle mutation, beaucoup plus qu'en Europe, au gré de la réinvention permanente par les consommateurs de leur façon de s'alimenter", note-t-il.

"Dans les années 2000, il y a eu ‘slim fast’ avec les substituts alimentaires, puis le régime sans gluten. Récemment, les grandes marques de céréales ont fait les frais de la vogue des ‘smoothies’ au petit-déjeuner auprès des millenials."

A l'inverse, les secteurs où le niveau de concentration est élevé et le respect des marques solidement ancré sont plus propices au "pricing power".

"Un bon exemple est là encore celui des brasseurs où même s'il y a potentiellement des nouveaux entrants, c'est dans les faits un marché très concentré, deux bières sur trois vendues dans le monde l'étant par AB InBev, Heineken ou Carlsberg . Sans qu'il y ait entente, cela limite le risque de comportement concurrentiel agressif."

Une étude récente de Barclays a montré que la concentration avait augmenté assez sensiblement aux Etats-Unis au cours des vingt dernières années, globalement mais aussi dans la plupart des secteurs, la banque d'investissement soulignant que cette évolution était allée de pair avec une diminution de la dynamique entrepreneuriale et de la part des salaires dans la valeur ajoutée, au risque de peser sur la consommation et de l'investissement.

Barclays note aussi l'ambivalence du renforcement de la position de marché pour les marchés financiers: "d'un côté elle peut soutenir les valorisations de marché et les profits mais de l'autre elle peut renforcer les risques d'une action réglementaire pour le limiter entraînant une baisse des valorisations à court terme."

"J'ai le sentiment qu'il y a eu beaucoup de concentrations tous secteurs confondus aux Etats-Unis et que les autorités de la concurrence y ont été plus permissives qu'en Europe", note Stanislas Coquebert de Neuville.

"Aux Etats-Unis, la vision des autorités est de laisser les acteurs dans divers secteurs se concentrer à condition que cela ne perturbe pas les prix et permette de créer des géants industriels dont les efficacités opérationnelles seront d'une façon ou d'une autre reversées aux consommateurs. Les autorités européennes sont plus sceptiques dans leur approche et considèrent qu'en cas de concentration une partie des gains d'efficience liés à la taille sera confisquée par l'entreprise dans une rente de monopole ou d'oligopole."

Sources :

* Le pricing power, un sujet devenu vital pour les directions générales des entreprises. Présentation de Gérard Moulin, gérant du fonds Amplegest Pricing Power. 9 avril 2019

* Increased corporate concentration and the influence of market power. Impact Series 05. Barclays. 26 mars 2019

* European Equity Day. Lazard Frères Gestion. 26 mars 2019.

* Présentation de Neil Dwane, global strategist AllianzGI. 21 mars 2019.

(Marc Joanny, édité par Blandine Hénault)