(Actualisé avec Erdogan, Carter, précisions)

par Lisa Barrington et Umit Bektas

BEYROUTH/KARKAMIS, Turquie, 29 août (Reuters) - Les forces soutenues par la Turquie ont continué à s'enfoncer en territoire syrien lundi, s'attirant les critiques des Etats-Unis préoccupés par le fait que l'objectif de l'intervention d'Ankara ne soit manifestement plus l'organisation Etat islamique (EI).

Au début de l'opération "Bouclier de l'Euphrate", il a une semaine, les chars, l'artillerie et l'aviation turcs ont appuyé des rebelles syriens pour leur permettre de reprendre à l'EI la ville de Djarablous.

Mais l'armée turque avance désormais dans des territoires contrôlés par les Forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance formée par les miliciens kurdes des Unités de résistance populaire (YPG) et des combattants rebelles arabes, avec le soutien des Etats-Unis.

Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), 41 civils ont été tués dimanche dans les raids aériens turcs accompagnant l'offensive terrestre. Ankara a démenti ces chiffres, assurant n'avoir tué que 25 combattants kurdes et prendre "toutes les mesures" pour ne pas blesser les civils.

Les FDS ont annoncé de leur côté qu'elles se retiraient de la région située au sud de Djarablous "pour préserver les vies des civils et pour qu'il ne reste aucun prétexte pour des frappes aériennes sur les villages et les civils".

Face à cette nouvelle escalade, les Etats-Unis ont multiplié pendant toute la journée de lundi les mises en garde à la Turquie.

En début de soirée, le secrétaire américain à la Défense, Ashton Carter, a déclaré avoir demandé à Ankara et aux éléments kurdes des FDS de ne plus s'affronter.

"Nous avons demandé à la Turquie (...) de rester concentrée sur la lutte contre l'EI", a-t-il dit pendant une conférence de presse.

Ashton Carter a assuré que tous les combattants des YPG, que la Turquie considère comme le prolongement de ses propres séparatistes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), allaient se retirer sur la rive orientale de l'Euphrate, comme l'exige Ankara et comme ils s'y sont eux-mêmes engagés.

Un peu plus tôt, l'envoyé spécial des Etats-Unis auprès de la coalition anti-EI avait jugé "inacceptables" les combats entre forces turques et kurdes "dans des secteurs où l'EI n'est pas présent".

"Nous appelons tous les acteurs armés à faire preuve de retenue", a ajouté Brett McGurk sur son compte Twitter, insistant lui aussi sur la nécessité de faire front commun contre les djihadistes.

ERDOGAN PROMET D'ÉLIMINER "TOUTES LES MENACES"

Ces appels n'ont pas fait ciller Recep Tayyip Erdogan, qui a répété lundi soir, dans un message adressé à ses compatriotes à la veille de la Fête de la victoire, qui commémore un succès militaire face à la Grèce en 1922, que l'opération "Bouclier de l'Euphrate" continuerait tant que toutes les menaces, y compris celle des YPG, ne seraient pas éliminées.

"La Turquie est déterminée à prendre les mesures nécessaires pour garantir la sécurité de ses concitoyens, sur son territoire comme à l'étranger", a dit le président turc, dont la Maison blanche a fait savoir lundi soir qu'il s'entretiendrait avec Barack Obama le 4 septembre en marge de la réunion du G20 en Chine.

Son ministre de la Défense, Omer Celik, a affirmé de son côté que la Turquie ne se laisserait pas dicter sa stratégie.

"Personne n'a le droit de nous dire quelle organisation terroriste nous devons combattre et laquelle nous devons ignorer", a-t-il martelé pendant une conférence de presse à Ankara.

Tout en avançant au sud de Djarablous vers Manbij, dont les FDS ont chassé l'EI au début du mois, l'armée turque a néanmoins dit faire également mouvement vers l'Ouest, ce qui la conduirait en direction des dernières villes contrôlées par l'EI dans le nord-ouest de la Syrie, notamment Al Bab.

Une source militaire turque a par ailleurs déclaré que l'artillerie avait détruit huit cibles djihadistes après des tirs de roquettes sur la ville de Kilis, située encore plus à l'Ouest.

Les FDS ont de leur côté déployé des renforts à Manbij mais un porte-parole des autorités autonomes kurdes de Syrie a pris soin de préciser qu'aucun combattant des YPG n'en faisait partie.

"Il y a des renforts, mais pas des YPG. Parce que les YPG sont à l'est de l'Euphrate", a dit à Reuters le directeur du centre de presse du Rojava, Ibrahim Ibrahim.

Redur Xelil, porte-parole des YPG, a été aussi catégorique: "Les affirmations de la Turquie qui dit combattre les YPG à l'ouest de l'Euphrate n'ont pas la moindre once de vérité et ne sont qu'un piètre prétexte pour étendre son occupation en territoire syrien", a-t-il dit à Reuters.

A Ankara, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a accusé pour sa part les miliciens kurdes de se livrer à des opérations de "nettoyage ethnique" dans le nord de la Syrie.

(Avec Orhan Coskun et Ece Toksabay à Ankara, Can Sezer, Asli Kandemir, David Dolan et Nick Tattersall à Istanbul, Tom Perry à Beyrouth; Henri-Pierre André, Nicolas Delame et Tangi Salaün pour le service français)