Paris (awp/afp) - La justice française a infligé jeudi une amende maximale de 1,875 mio EUR à Reyl & Cie pour avoir été "l'instrument de la dissimulation des avoirs" de l'ex-ministre du Budget Jérôme Cahuzac. L'établissement genevois, reconnu coupable de blanchiment, a cependant échappé à une interdiction d'exercer toute activité bancaire en France comme l'avait demandé le parquet. Le directeur général (CEO) François Reyl a quant à lui été condamné à un an de prison avec sursis et 375'000 EUR d'amende.

Pour la banque et M. Reyl, l'affaire ne devrait toutefois pas s'arrêter là. "Je recommande à mes clients d'interjeter l'appel", a indiqué leur défenseur Paul-Albert Iweins dans une déclaration à la presse. "Nous constatons que le tribunal a reconnu la conformité de nos décisions avec la réglementation helvétique en vigueur au moment des faits", a-t-il affirmé.

La stratégie de la défense consistait à faire passer M. Cahuzac comme un client parmi d'autres. En septembre dernier, François Reyl avait défendu devant les juges la "transparence" des pratiques de sa banque.

Peimane Ghaleh-Marzban, président de la 32e chambre du Tribunal correctionnel de Paris, a toutefois mis à bas cet édifice, rapporte "Le Temps". Il a répété que la banque Reyl a mis sa "technicité", son "automaticité" et la fluidité de ses mécanismes (société-écran, transfert des avoirs, etc.) au service d'un client dont elle ne pouvait pas ignorer les motifs.

Cette peine maximale a réjoui la procureure du Parquet national financier Eliane Houlette. "Nous voulions un jugement symbole. Nous l'avons obtenu", a-t-elle lancé.

L'intermédiaire Philippe Houman, installé à Dubaï et absent lors de l'audience, a écopé d'une peine identique.

JÉRÔME CAHUZAC FAIT APPEL

L'éphémère ministre français Jérôme Cahuzac a été condamné à trois ans de prison pour fraude fiscale et blanchiment dans le cadre du scandale le plus retentissant du mandat présidentiel de François Hollande. Il a d'ores et déjà annoncé qu'il allait faire appel de cette décision.

L'ancien héraut de la lutte contre l'évasion fiscale s'est également vu infliger une peine de cinq ans d'inéligibilité et son ex-épouse Patricia a été condamnée à deux ans de prison, conformément aux réquisitions lors du procès en septembre.

Quand, en décembre 2012, le site d'information Mediapart révèle que le ministre du Budget détient un compte en Suisse, celui qui se présente comme le chevalier blanc de la lutte contre la fraude fiscale nie farouchement.

Pendant quatre mois, il dément auprès de députés, de ministres et même du président français. Mais l'étau judiciaire se resserre. Il finira par démissionner le 19 mars 2013 et avouer le 2 avril.

Ce scandale est le pire accroc à la "République exemplaire" promise par François Hollande. Depuis, la France a renforcé ses outils contre la fraude et la corruption, avec la création d'une Haute autorité pour la transparence de la vie publique, d'un statut pour les lanceurs d'alerte et d'une agence anticorruption.

'CONSCIENT DE L'ILLÉGALITÉ'

Jérôme Cahuzac a renoncé à toute vie publique. A 64 ans, ses proches le disent "brisé", mais dans ses rares confidences le déni n'est jamais loin. Devenir ministre, estimait-il en 2014, a été "l'erreur de ma vie".

Ses justifications au procès sont balayées par l'accusation qui épingle un homme pour lequel "la vérité est un mirage".

Le procès a mis à nu les secrets bancaires du couple Cahuzac, divorcé depuis la révélation de l'affaire. Dans les années 90, le couple avait cherché à placer les bénéfices d'une florissante clinique d'implants capillaires qu'ils géraient, lui comme chirurgien, elle comme dermatologue.

"On était conscient de l'illégalité" de ces pratiques, a dit à la barre l'ex-épouse, Patricia Ménard, une "femme trahie" qui révélera elle-même aux juges l'existence d'un compte également sur l'île de Man.

Les Cahuzac ont reconnu "une fuite en avant" dans l'opacité offshore, mais nié avoir construit "un système organisé".

Leur patrimoine global dissimulé est estimé à 3,5 millions d'EUR. L'argent s'est retrouvé à hauteur de 600'000 EUR sur le compte secret suisse de Jérôme Cahuzac (transféré en 2009 de Reyl vers la Julius Baer à Singapour), de 2,7 mio EUR sur le compte de l'île de Man géré par Patricia Cahuzac, et pour près de 240'000 EUR de chèques versés sur des comptes de la mère de l'ex-chirurgien.

Ce jugement pourrait servir de jurisprudence dans d'autres affaires de fraude fiscale retentissantes comme celle impliquant les héritiers du marchand d'art Guy Wildenstein, qui seront fixés en janvier, ou celle mettant en cause la petite-fille de la couturière Nina Ricci dont le procès en appel est en cours.

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