Adoptée l'année dernière dans le cadre de la loi de finances pour 2016, avec application reportée au 31 décembre 2016, la mesure d'élargissement de l'assiette de la taxe sur les transactions financières (TTF) avait été retoquée par le Conseil Constitutionnel pour des raisons de forme. Du fait que la TTF n'est exigible que le premier jour du mois suivant celui de l'acquisition, la mesure n'aurait en effet eu d'incidence qu'à partir de 2017 : elle n'avait dès lors pas sa place au sein de la loi de finances, dont le but exclusif est d'établir le budget pour l'année à venir.

C'est donc logiquement qu'elle a été remise sur la table par les députés la semaine dernière, accompagnée cette fois d'une proposition de relèvement du taux. Désireux de ne pas reproduire la même erreur, les députés prévoient une application au 1er janvier 2017, jugée cependant techniquement impossible par le ministre de l'Economie et des Finances, Michel Sapin.
 

Une assiette élargie…

Les parlementaires ont ainsi amendé le projet déposé par le Gouvernement afin d'étendre la TTF aux acquisitions intraday, qu'ils considèrent comme spéculatives.
Pour ce faire, l'article 235 ter ZD du Code général des impôts serait complété afin que la taxe concerne les acquisitions de titres lorsque elles donnent lieu à un transfert de propriété ou, et là réside la nouveauté, en l'absence de transfert de propriété, « dès qu'il y a comptabilisation du titre sur le compte-titres de l'acquéreur ». C'est la prise en compte de cette comptabilisation sur le compte-titres qui permettra de faire entrer les allers-retours intraday dans le champ d'application de la TTF pour 2017.

 
L'objectif est louable : il s'agit de dégager des recettes supplémentaires pour abonder la lutte contre le changement climatique et le financement de la solidarité internationale. Par ailleurs, les députés entendent, ce faisant, lutter contre la spéculation qui selon eux sclérose les marchés financiers.
C'est peut-être là que le bât blesse : il ressort des débats à l'assemblée [i]
que certains députés opèrent une confusion malheureuse entre les opérations intraday et le trading haute fréquence. Si les opérations intra journalières ont en effet intrinsèquement une nature spéculative, elles ne revêtent cependant pas le caractère potentiellement toxique du trading haute fréquence, qui représenterait, selon les chiffres de l'ESMA [ii], 21 à 45% des volumes action réalisés sur Euronext Paris. En outre, c'est oublier ici que la spéculation relève de la nature même des marchés financiers !
Comme souvent lorsqu'il est question d'encadrer les marchés financiers, l'intention est louable mais les moyens sont imparfaits. D'autant que le trading haute fréquence est déjà visé par une taxe spécifique, la taxe sur les ordres annulés [iii], qui constitue avec la TTF et la taxe sur les acquisitions de CDS d'un Etat le triptyque de la fiscalité française relative à la taxation des transactions financières. Il faut cependant admettre que cette taxe sur les ordres annulés ne peut que difficilement atteindre son objectif de réduire le trading haute fréquence, dans la mesure où elle ne concerne que les acteurs établis en France. 
 

… Et un taux relevé…

En parallèle de cet élargissement de l'assiette, de nombreux amendements avaient vocation à augmenter le taux de la taxe sur les transactions financières, afin là aussi d'optimiser les recettes fiscales. Deux camps se sont affrontés. D'un côté, les partisans du taux à 0,5%, avançant l'argument d'un alignement sur la Stamp Duty britannique [iv] et affirmant qu'il s'agissait là d'une occasion pour la France de se placer en chef de file des pays européens en matière de fiscalité des transactions financières. De l'autre, ceux pour un taux de compromis à 0,3%. Soutenu par Michel Sapin, c'est le taux à 0,3% qui l'a emporté.
 
Ainsi, ces deux mesures combinées devraient permettre de générer 540 millions d'euros de recettes supplémentaires, dont 270 seront affectés à l'Agence Française de développement qui a pour mission de lutter contre la pauvreté et de contribuer au développement économique et social des pays de l'hémisphère Sud. La taxe sur les transactions financières devrait en conséquence rapporter plus d'un milliard d'euros pour l'année 2017.
 

… Qui vont sans aucun doute impacter les investisseurs.

A compter du 1er janvier 2017, dénouer une opération au cours de la journée ne permettra donc plus d'échapper à la taxation et coûtera aux investisseurs 0,3% du montant de la transaction.
Il restera aux investisseurs français à se rabattre sur le  SRD, toujours épargné par la TTF dans la mesure où l'inscription en compte n'intervient qu'à la fin du mois, ainsi que sur les CFD… Du moins tant que ceux-ci sont encore autorisés !

Ce faisant, les parlementaires français ont pris de l'avance sur le projet européen de TTF [v] qui a récemment avancé après des années de stagnation.
En effet, les dix Etats européens concernés se sont accordés au début du mois sur l'assiette de la future taxe commune : celle-ci devrait ainsi concerner, outre les acquisitions classiques d'actions, les opérations intraday et surtout les produits dérivés. La grande incertitude est alors l'application respective de cette taxe européenne et de notre taxe actuelle : auraient-elles vocation à se cumuler, comme cela était encore récemment prévu ? ou la taxe européenne se substituerait-elle aux taxes locales, ce qui permettrait d'éviter une double imposition aux investisseurs ?
 

 
 
Le texte n'en étant qu'à sa première lecture à l'Assemblée Nationale, on ne peut affirmer avec certitude aujourd'hui que la taxe sur les transactions financières sera effectivement amendée pour le 1er janvier 2017. Le projet réunit déjà contre lui investisseurs comme professionnels de la finance.
S'il était par ailleurs favorable à une hausse minime du taux de taxation, le ministre de l'Economie et des Finances a en revanche clairement manifesté son désaccord face à un élargissement de l'assiette de la TTF française : « J'ai également la conviction que créer une taxe sur les transactions financières dans un seul pays serait inefficace (…) d'où la nécessité de travailler d'abord au niveau européen ».


Cependant, l'élargissement de l'assiette de la taxe ayant été adopté par les parlementaires l'année dernière, il semble fort improbable qu'ils fassent machine arrière cette année. Par ailleurs, la hausse du taux de taxation à 0,3% constituant un compromis face à une proposition de hausse à 0,5%, tout laisse présager que cette mesure est elle aussi définitivement actée.




[i] Deuxième séance publique du 19 Octobre 2016, Compte rendu intégral
[ii] ESMA Economic Report, High-frequency trading activity in EU equity markets, Number 1, 2014, p. 11 (en anglais)
[iii] Plus d'infos dans notre rubrique pédagogique : La taxe sur les ordres annulés
[iv] En s'appliquant entre autres aux opérations intraday et au taux de 0,5%, celle-ci rapporte en effet plus de 3 milliards de livres par an. Plus d'infos dans notre rubrique pédagogique : La TTF au Royaume-Uni
[v] Plus d'infos dans notre rubrique pédagogique : La taxe européenne sur les transactions financières