(Actualisé avec précisions, réactions)

par Ercan Gurses et Nick Tattersall

ANKARA, 5 mai (Reuters) - Le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu a confirmé jeudi que le parti de la justice et du développement (AKP) se réunirait en congrès extraordinaire le 22 mai et qu'il n'en briguerait pas la présidence, renonçant de fait à s'opposer davantage à la volonté de Recep Tayyip Erdogan d'établir un régime présidentiel.

Dans un discours pendant lequel il a assuré le chef de l'Etat de sa loyauté après des jours de tensions larvées entre les deux hommes, Ahmet Davutoglu a estimé qu'il avait maintenu le cap dans une période difficile pour la Turquie et appelé l'AKP à rester uni pour continuer à gouverner avec force.

En renonçant à diriger l'AKP, le Premier ministre devrait normalement abandonner également son poste, le chef du parti au pouvoir depuis 2002 en Turquie ayant toujours été aussi à la tête du gouvernement.

"Je dis à nos membres, jusqu'à aujourd'hui, j'étais à votre tête. A partir de maintenant, je serai parmi vous", a déclaré Ahmet Davutoglu.

Le départ du Premier ministre ouvre une nouvelle période d'incertitude pour la Turquie, où des élections législatives anticipées, les troisièmes en l'espace de 18 mois, pourraient être convoquées.

Il inquiète également les partenaires de la Turquie, notamment l'Union européenne qui vient de conclure un accord avec Ankara pour lutter contre l'afflux de migrants et les Etats-Unis qui comptent sur son soutien pour lutter contre l'organisation djihadiste Etat islamique en Syrie.

Interrogée pendant une visite au Kosovo sur les conséquences de la mise à l'écart du Premier ministre turc, la porte-parole de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, a réagi avec prudence, disant ignorer s'il y aurait des implications sur l'accord sur les migrants.

"Nous allons d'abord en discuter avec les autorités turques et déterminer ensemble comment aller de l'avant", a-t-elle dit.

L'OPPOSITION DÉNONCE UNE "RÉVOLUTION DE PALAIS"

Un responsable européen a de son côté déclaré à Reuters que si Davutoglu, considéré comme la figure la plus libérale du gouvernement turc et un homme avec lequel il est plus facile de discuter qu'Erdogan, avait mené les négociations, l'accord sur la migration avait aussi le soutien du président turc.

"L'accord a été conclu avec la Turquie, pas avec Davutoglu", a-t-il insisté.

En Allemagne, premier pays de destination des réfugiés, un porte-parole du SPD, partenaire minoritaire de la coalition gouvernementale, s'est montré plus inquiet, non pas sur l'application de l'accord mais sur l'évolution de la Turquie vers un système de plus en plus autoritaire.

"Erdogan va pouvoir pousser en avant son projet de réforme de la Constitution sans aucune opposition dans son propre camp", a déclaré à Reuters Niels Annen en critiquant le "climat de répression" en Turquie.

Un porte-parole de la CDU d'Angela Merkel lui a fait écho en estimant que la Turquie était à la croisée des chemins.

"La Turquie va décider elle-même si son chemin la mène vers l'Europe ou vers un isolement plus grand", a estimé Jürgen Hardt dans un communiqué.

Pour l'opposition turque, l'affaire est entendue: la mise à l'écart de Davutoglu est une "révolution de palais".

"La démission de Davutoglu ne doit pas être considérée comme une affaire interne d'un parti, tous les partisans de la démocratie doivent résister à cette révolution de palais", a déclaré Kemal Kilicdaroglu, chef du Parti républicain du peuple (CHP), le principal mouvement d'opposition.

LÉGISLATIVES ANTICIPÉES À L'AUTOMNE?

Davutoglu, qui dirigeait la diplomatie turque quand Erdogan était Premier ministre, avant de lui succéder à ce poste en 2014, a reconnu qu'il ne partait pas "de son plein gré, mais par nécessité".

Mais il a assuré pendant son discours ne nourrir "aucun ressentiment" et a insisté sur l'"amitié" qui le lie à Erdogan. "Je ne proférerai jamais aucune critique contre lui", a-t-il affirmé.

La décision de son départ a semble-t-il été prise mercredi soir lors d'une réunion d'une heure et demie entre les deux hommes.

Le porte-parole du gouvernement, Numan Kurtulmus, et le ministre de la Justice, Bekir Bozdag, deux fidèles d'Erdogan, sont pressentis pour succéder à Davutoglu, ont dit trois sources proches de la présidence.

Les noms du ministre des Transports, Binali Yildirin, et de son collègue à l'Energie, Berat Albayrak, qui est aussi le beau-fils du chef de l'Etat, ont également été cités, ont ajouté ces sources.

Selon un membre du bureau exécutif de l'AKP, des élections anticipées pourraient être convoquées à l'automne prochain avec pour objectif pour le parti au pouvoir d'obtenir les deux-tiers des sièges, soit 50 de plus que les 317 qu'il détient, afin de pouvoir réviser la Constitution sans passer par un référendum.

D'après lui, la décision de convoquer ou non des élections avant la fin de la législature actuelle, en 2019, dépendra en partie de l'issue de la bataille de pouvoir à la tête du parti d'opposition nationaliste MHP.

Selon des sondages, le MHP pourrait en effet tomber sous le seuil des 10% requis pour entrer au Parlement si son dirigeant actuel, Devlet Bahceli, reste à sa tête, alors qu'il pourrait au contraire doubler son score si Meral Aksener, une ancienne ministre de l'Intérieur âgée de 59 ans, parvient à en prendre les commandes.

Dans ce dernier cas de figure, les chances de l'AKP d'obtenir les deux-tiers des sièges au Parlement seraient considérablement réduites. (Avec Orhan Coskun à Ankara et le bureau d'Istanbul; Danielle Rouquié et Tangi Salaün pour le service français)