-Nokia et Alcatel confirment être en discussions sur une fusion des deux groupes

-Ce rapprochement pourrait prendre la forme d'une offre en actions de Nokia sur Alcatel-Lucent

-Pas de certitude à ce stade quant à l'issue des discussions

-Le groupe fusionné aurait un chiffre d'affaires cumulé de 25,9 mds d'euros

-Le gouvernement français sera "très attentif" aux répercussions d'une telle opération

-Le titre Alcatel-Lucent flambe de 14% tandis que Nokia cède 3,5%

(Actualisation: commentaires d'analystes, nouveaux cours de Bourse).

Les équipementiers de télécommunications Nokia (>> Nokia Oyj) et Alcatel-Lucent (>> Alcatel Lucent) ont annoncé mardi être à un stade avancé de négociations en vue de fusionner, une opération qui créerait un nouvel acteur mondial des réseaux face au suédois Ericsson (ERIC-B.SK) et au chinois Huawei Technologies (>> Huawei Technology Co Ltd).

La transaction prendrait la forme d'une "fusion complète", avec le lancement d'une offre publique d'échange de Nokia sur Alcatel-Lucent, ont indiqué les deux groupes. Il n'y a pour l'instant aucune certitude que les négociations aboutiront à une transaction, ont-ils précisé.

Il n'est pas certain pour l'heure que les deux groupes se soient entendus sur la valorisation. La capitalisation boursière d'Alcatel-Lucent s'élève à environ 11 milliards d'euros, contre 28 milliards pour Nokia.

A la Bourse de Paris, le titre Alcatel-Lucent grimpait de 14% à 4,41 euros à 13h45, tandis qu'à Helsinki, l'action Nokia perdait 3,5% à 7,50 euros . "Nous pensons que les activités mobiles des deux groupes se combineraient à merveille sur le plan stratégique, Alcatel-Lucent étant aussi fort aux Etats-Unis que Nokia en Europe et au Japon", estime Citigroup.

Une fusion totale serait bien plus risquée pour Nokia que la simple acquisition des activités d'équipements de téléphonie mobile du groupe français, juge pour sa part Sami Sarkamies, analyste de Nordea. Une offre publique d'échange de Nokia sur les actions Alcatel entraînerait des changements de la structure actionnariale actuelle de Nokia et, si un accord était conclu, réunir les deux groupes prendrait plusieurs années, prévient l'intermédiaire financier.

Des années de spéculations

Une fusion entre Nokia et Alcatel-Lucent mettrait fin à des années de spéculations autour d'un possible rapprochement entre les deux groupes. L'opération transformerait le secteur des équipementiers télécoms en créant un nouvel acteur au chiffre d'affaires 2014 cumulé de 25,9 milliards d'euros et employant plus de 100.000 personnes dans des activités allant des communications sans fil au routage Internet.

Le numéro un du secteur, le suédois Ericsson, a dégagé l'an dernier un chiffre d'affaires de 25,1 milliards d'euros, devant le chinois Huawei dont les revenus ont atteint 23,6 milliards d'euros sur la base de taux de change moyens sur l'année.

L'américain Cisco (>> Cisco Systems, Inc.), concurrent d'Alcatel-Lucent dans le routage Internet, a pour sa part affiché un chiffre d'affaires de 47,1 milliards de dollars pour son exercice clos à la fin juillet.

Bercy veut les détails du projet "au plus vite"

Un rachat d'Alcatel-Lucent par Nokia pourrait faire l'objet d'un débat politique en France. Les responsables français prônent la création de géants paneuropéens compétitifs au plan mondial, comme le groupe franco-allemand Airbus (>> AIRBUS GROUP). Mais Alcatel-Lucent est aussi un gros employeur et un groupe emblématique en France.

Selon un représentant du gouvernement français, toute opération impliquant Alcatel-Lucent devra probablement être structurée de façon à maintenir une influence française significative au sein de la nouvelle entité pour que le projet soit accepté à Paris.

Le gouvernement français souhaite que le projet de fusion entre Nokia et Alcatel-Lucent lui soit présenté en détail "au plus vite", et se montrera attentif aux répercussions de l'opération en termes d'emploi, a indiqué le ministère de l'Economie.

Le gouvernement "sera très attentif [aux] éventuelles conséquences sur l'emploi et l'activité des sites français d'Alcatel-Lucent, notamment en Recherche & Développement, et [aux] effets sur l'ensemble de la filière télécoms en France", a indiqué Bercy dans une déclaration envoyée par courrier électronique.

Le gouvernement souhaite notamment juger de "la pertinence du projet industriel, de sa capacité à constituer un champion européen compétitif au plan mondial, un 'Airbus' des télécoms", a ajouté le ministère.

Une décennie de fusions, de cessions et d'acquisitions

Le calendrier d'une éventuelle opération reste difficile à déterminer, mais les deux groupes feront face à leurs actionnaires au cours des prochaines semaines. Nokia tiendra son assemblée générale annuelle le 5 mai, et Alcatel-Lucent, le 26 mai.

Une telle combinaison regrouperait deux groupes émergeant à peine d'une difficile vague de consolidation il y a près d'une décennie. A l'époque, ils pâtissaient d'une guerre des prix avec des groupes chinois. Depuis, Huawei a environ triplé le chiffre d'affaires de son activité de vente d'équipements aux groupes de télécommunications.

La division d'équipements de télécommunications de Nokia a connu des années de difficultés lorsqu'elle faisait partie d'une coentreprise avec le groupe allemand Siemens (>> Siemens AG), ce qui s'est traduit par des vagues de suppressions d'emplois et une restructuration pour renouer avec les bénéfices. Nokia a racheté en 2013 la part de Siemens dans la nouvelle entité, désormais rentable, après avoir conclu un accord avec le géant américain Microsoft (>> Microsoft Corporation) pour lui céder son activité de téléphones mobiles.

Entre-temps, Alcatel-Lucent, a mis en oeuvre plusieurs plans de restructuration et de cessions d'actifs pour régler son problème de consommation de trésorerie. Ce n'est qu'en 2015 que le groupe, issu de la fusion, en 2006, du groupe français Alcatel et de l'américain Lucent Technologies - lui-même séparé d'AT&T (T) - est enfin sur le point de dégager un flux de trésorerie positif.

Un impact fort sur le marché américain

Une telle opération permettrait à Nokia d'augmenter sa part de marché face à Ericsson (ERIC-B.SK) dans l'activité concurrentielle et rentable du sans fil aux Etats-Unis, où Alcatel-Lucent a des racines historiques et des liens de longue date avec Verizon Communications (>> Verizon Communications Inc.) et AT&T. Cela lui donnerait également accès à l'activité à forte croissance de routage Internet d'Alcatel-Lucent, qui fait partie des sources de bénéfices du groupe sur lesquelles les analystes misent pour sa croissance future. Depuis la restructuration de Nokia, l'activité d'équipements du groupe se concentre uniquement sur les réseaux sans fil.

L'activité sans fil d'Alcatel-Lucent est un point délicat. Sa part de marché diminue progressivement, notamment en raison de la perte de contrats en Europe. Les dépenses massives des opérateurs aux Etats-Unis et en Chine sur de nouveaux réseaux LTE à grande vitesse débit a soutenu ses revenus ces dernières années, mais maintenant que la cadence diminue, le chiffre d'affaires de la division s'est replié de 9% sur un an au quatrième trimestre.

Une concurrence accrue de Huawei et ZTE

En 2014, Nokia disposait d'une part de marché d'environ 17% dans les réseaux sans fil au plan mondial, contre 30% pour Ericsson et 20% pour Huawei, selon la société d'étude de marché Infonetics. Alcatel, avec une part de 10%, s'est fait dépasser l'année dernière par l'équipementier chinois ZTE (>> ZTE Corporation), qui a maintenant une part de marché de 11%, selon Infonetics.

Depuis qu'il a repris les rênes du groupe en 2013, le directeur général d'Alcatel-Lucent, Michel Combes, réduit la voilure de l'équipementier en s'efforçant de recentrer ses activités dans le cadre de son plan de redressement baptisé "Shift". Sous son mandat, Alcatel-Lucent a vendu différents actifs, tout en supprimant des emplois.

Alcatel-Lucent prévoit également d'introduire en Bourse une participation minoritaire dans sa division de réseaux sous-marins, un leader dans le déploiement de câbles de télécommunications sous les océans. Il est difficile de déterminer si cette introduction en Bourse, prévue pour le second semestre de cette année, aura bien lieu en cas d'accord de fusion entre Nokia et Alcatel. Les autorités françaises estiment qu'il s'agit d'un actif stratégique pour les services de renseignement du pays.

Ericsson n'a pas souhaité faire de commentaires sur les activités de ses concurrents, et a ajouté qu'il se concentrait sur sa propre stratégie.

-Sam Schechner, Dow Jones Newswires (Juhana Rossi et Thomas Varela ont contribué à cet article.)

(Version française Maylis Jouaret, Blandine Hénault et Aurélie Henri) ed/EC/AE/LB