Washington (awp/afp) - Les Etats-Unis ont relancé l'idée d'émettre un bon du Trésor de très longue durée, à 50 ou 100 ans: une façon d'emprunter plus et à moindre coût, comme l'ont fait de nombreux pays européens, en profitant des faibles taux d'intérêts.

Le nouveau secrétaire au Trésor américain Steven Mnuchin a révélé jeudi avoir demandé à ses équipes d'explorer la faisabilité de l'émission de titres d'emprunt avec une maturité d'un demi-siècle et voire d'un siècle.

"Je pense que c'est une sérieuse question que nous devrions explorer. Savoir si lever de l'argent sur 50 ou 100 ans avec une prime faible est une possibilité qu'il est intéressant d'examiner", a-t-il dit.

Cela constituerait un changement historique sur le marché des bons du Trésor américains, fort de 14.000 milliards de dollars, et dont la durée maximale est actuellement de 30 ans.

De nombreux pays empruntent à 50 ans comme l'Italie, la France, l'Espagne, la Grande-Bretagne et le Canada. Le Mexique mais aussi l'Irlande et la Belgique ont émis des bons à 100 ans.

Aux Etats-Unis, l'idée d'un bon de très longue durée a déjà été évoquée sous l'administration Obama mais n'a jamais dépassé le stade de projet, du fait surtout de considérations politiques, affirment des experts.

"L'idée (...) n'a jamais eu beaucoup de soutien à Washington", explique à l'AFP Jim Vogel, vice-président de FTN Financial. "Les responsables politiques préfèrent donner l'impression qu'ils vont diminuer la dette" et non pas emprunter plus en créant de nouveaux instruments.

"D'habitude, on émet ce genre de bons quand on veut emprunter beaucoup", a renchéri Diana Swonk, de DS Economics, sur la radio NPR, se demandant si c'était vraiment "le signal que le gouvernement voulait envoyer".

Techniquement, l'Etat fédéral serait bien avisé d'emprunter à long terme et à moindre coût, en profitant des taux d'intérêt bas alors que ceux-ci vont bientôt augmenter, comme l'a promis la Réserve fédérale.

Ces bons "devraient faire faire des économies" dans le service de la dette, assure M. Vogel.

L'autre avantage pour l'Etat et les investisseurs serait d'apporter de la "flexibilité" dans la gestion des emprunts fédéraux, souligne-t-il.

Les bons à 50 ou 100 ans permettraient ainsi d'emprunter davantage sans exercer de pression à la hausse sur les rendements des autres titres populaires, émis à 30, 10 ou 5 ans. Ces rendements ont d'ailleurs baissé jeudi au moment de l'annonce de cet éventuel nouveau produit par M. Mnuchin.

- Sensible à l'inflation -

L'introduction d'un tel titre est néanmoins délicate: il faut en émettre suffisamment pour garantir sa liquidité et mais pas trop pour éviter de devoir se retrouver avec un imposant "albatros" si le succès n'est pas au rendez-vous, a encore expliqué M. Vogel.

D'autres économistes soulèvent des objections sur l'attrait d'un bon à 50 ou 100 ans qui peut être très vulnérable à l'inflation sur une période aussi longue. Si la hausse des prix est loin d'être une inquiétude pour l'instant aux Etats-Unis, le pays a aussi connu des périodes d'hyperinflation au cours d'une histoire pas si lointaine.

"Il faut que ces bons soient indexés sur l'inflation autrement, en tant qu'épargnant, vous prenez un sérieux pari sur le cours de l'inflation dans 50 ou 100 ans", relève Laurence Kotlikoff, économiste et professeur à l'Université de Boston. La Grande-Bretagne a déjà émis des titres de longue durée indexés sur la hausse des prix.

Les Etats-Unis aussi offrent déjà des obligations protégées de l'inflation à 5, 10 ans et 30 ans, ce qui semble suffisant pour le marché aux yeux de Jim Vogel.

Mais selon M. Kotlikoff, si l'inflation devait suivre la même voie qu'au cours des 100 dernières années, les prix vont être multipliés par 200, ce qui revient à dire qu'un dollar investi vaudra un demi penny dans un siècle.

"Ce type de titres pourrait tromper le public qui sera floué par l'inflation et sujet à ce qu'on appelle l'illusion monétaire en perdant une part significative de ses économies", ajoute ce professeur, connu pour ses positions tranchées sur les dangers des déficits publics.

Si M. Mnuchin "parle d'un bon indexé sur l'inflation, il est mon héros. S'il parle d'un bon non-indexé, cela s'apparente à une malversation", a-t-il résumé.

afp/rp