New York (awp/afp) - Croissance élevée, chômage au plus bas depuis 17 ans, Wall Street au plus haut... Les planètes économiques américaines semblent alignées, mais les économistes scrutent avec inquiétude un indicateur souvent annonciateur d'une récession: la courbe des taux du marché obligataire.

Cette courbe reflète la différence de rendement accordé par le Trésor américain aux investisseurs misant sur sa dette à court ou à long terme, généralement entre deux et dix ans.

En temps normal, plus l'investissement s'effectue sur une durée courte, plus le rendement offert est bas. A l'inverse, plus l'argent investi dans un bon du Trésor est bloqué pour une longue période, plus le rendement vient compenser les risques de l'investissement à long terme.

Or depuis un an, les rendements des bons à court terme se rapprochent dangereusement de ceux à long terme. On parle alors d'"aplatissement" de la courbe des taux. Voire même d'"inversion" lorsque les premiers deviennent plus élevés que les seconds.

Depuis décembre 2016, l'écart entre le taux de rendement des bons du Trésor à deux et à dix ans est ainsi passé de 135 à 51 points de base le 15 décembre (de 1,35 à 0,51 point de pourcentage, un nombre négatif signifiant une inversion), au plus bas depuis octobre 2007.

Jeudi, cet écart s'affichait à 62 points de base, après un léger recul de l'estimation de la croissance américaine au troisième trimestre.

"Depuis 1950, chaque récession a été précédée d'une inversion de la courbe des taux", souligne Christopher Low, chef économiste de FTN Financial.

"L'inversion de la courbe n'est qu'un signal", explique toutefois Gary Duncan, chef économiste d'Oxford Economics, qui "pourrait être annonciateur d'une contraction de l'économie".

POLITIQUE DE LA FED

"Une inversion de la courbe indique que les investisseurs n'ont pas confiance dans l'avenir", résume Gregori Volokhine, de Meeschaert Financial Services.

Les raisons au rapprochement des rendements sur les lignes obligataires à court et long terme sont multiples mais "le facteur principal est la politique restrictive de la banque centrale américaine", estime M. Duncan, la Fed faisant "monter les taux à court terme" mécaniquement via l'augmentation de ses taux d'intérêt.

Depuis la fin 2015, l'institution a enclenché un cycle de hausse de taux qui s'est durci depuis, trois hausses ayant eu lieu en 2017 et trois nouvelles étant programmées en 2018.

Le niveau des rendements à long terme fluctue quant à lui davantage en fonction des prévisions de croissance et d'inflation.

Or, bien que les perspectives de croissance ont été revues à la hausse pour l'an prochain, l'objectif de la Fed d'une inflation à 2% ne sera atteint qu'en 2019, selon ses dernières prévisions.

L'évolution de l'indice PCE, baromètre favori de la banque centrale, n'était que de 1,6% en glissement annuel en octobre.

Après la réunion du 13 décembre qui a débouché sur une troisième hausse de taux cette année, le président de la Fed de Minneapolis Neel Kashkari s'est justement inquiété de la faible inflation et du risque d'inversion de la courbe des taux.

'INQUIÉTANT'

"Bien que la courbe ne se soit pas encore inversée, le marché obligataire nous dit que le risque de récession augmente", a-t-il écrit à l'appui de son refus de voter en faveur d'une hausse des taux.

"Le raisonnement derrière est que si la Fed durcit sa politique trop rapidement, les marchés anticipent un ralentissement de l'économie à plus long terme" à travers notamment une restriction du crédit, détaille M. Duncan.

La présidente de l'institution, Janet Yellen, a répondu à ces craintes il y a quelques jours, jugeant qu'"il y a de bonnes raisons de penser que la relation entre la pente de la courbe et le cycle économique a changé".

"Janet Yellen tient le même discours que les deux précédents présidents de la Fed, Alan Greenspan en 1998 et Ben Bernanke en 2006. C'est inquiétant", commente M. Low, rappelant que malgré leur ton rassurant, ces deux dirigeants avaient eu à subir une récession après avoir observé une inversion de la courbe.

A l'image de la plupart des analystes, l'économiste n'anticipe toutefois pas une inversion avant 2019, et une récession aux Etats-Unis "début 2020".

La corrélation, si elle était à nouveau prouvée, a toujours mis entre quatre et six trimestres avant de se concrétiser par une récession.

afp/fr