"Quel regard portez-vous sur la rechute de l’inflation au sein de la zone euro en territoire négatif la semaine dernière ?
Un chiffre d’inflation en dessous de 0 ne signifie pas nécessairement une entrée en déflation. Celle-ci correspond à une baisse des prix auto-entretenue et généralisée d’un ensemble de biens, de services et d’actifs.
Cette retombée en territoire négatif de l’inflation est principalement due au vif repli des cours des matières premières. L’inflation sous-jacente se situe, quant à elle, à 0,9%. A titre de rappel, lors de la Grande Dépression américaine, l’inflation avait chuté de 10%. Au Japon, la déflation s'était manifestée par une inflation durablement en dessous de 0.

Ce dernier chiffre d’inflation accroit-il pour autant la menace de la déflation au sein de la zone euro ?

Je ne pense pas que le risque de déflation ait cru eu égard à ce dernier chiffre d’inflation.

Se doit-on légitimement d’attendre une plus grande intervention de la Banque centrale européenne ?
La BCE ne cesse de répéter que l’arme monétaire n’est pas suffisante pour augmenter le potentiel de croissance de l’économie de la zone euro. Un autre levier fondamental pour la reprise dans la région réside dans la mise en œuvre de réformes structurelles. Ainsi un accroissement du programme de quantitative easing de la BCE au cours de ces prochaines semaines est peu probable, à moins d’avoir une importante réappréciation de l’euro. Celle-ci augmenterait le risque de déflation au sein de la zone euro.

A partir de quelle parité pourrait-on considérer que nous sommes face à une appréciation trop forte de l’euro ?
A partir d’une parité de 1,20, nous devrions avoir une BCE davantage sur le qui-vive.

Vous pensez que la Fed agira d’ici la fin de l’année. Pourquoi ?
L’état de l’économie américaine-avec un PIB à 3,9% au deuxième trimestre et un taux de chômage à 5,1%-plaide pour une poursuite de la normalisation de la politique monétaire américaine. Au mois de juillet, avant l’épisode de grande volatilité, de nombreux membres de la Fed laissaient clairement la porte ouverte à une hausse des taux en septembre. Cependant, la Fed s’est aperçue qu’elle est redevenue à son insu la Banque centrale du monde du fait de la hausse de l’endettement des pays émergents en dollar. Ces derniers sont d'autant plus sensibles à la politique monétaire américaine qu'ils sont confrontés à un ralentissement structurel. Ainsi la pression monétaire et financière découlant de la remontée des taux directeurs US pourrait fragiliser davantage les pays émergents et, in fine, avoir un impact négatif sur l’économie américaine.

Pensiez-vous également que la Fed allait agir en septembre ?

Nous pensions que la Fed agirait mais dans une moindre mesure que ce qui était attendu par le consensus. Autrement dit nous escomptions une hausse de 10 à 15 points de base avec un discours très prudent s’agissant de la suite des événements. Nous considérions alors qu’un statu quo serait mal perçu par les investisseurs car supposant une inquiétude plus marquée de la part de la Banque centrale. C’est ce qui s’est produit.

Quel scénario central retenez-vous pour l’heure s’agissant de la Fed ?

Une non intervention en décembre impliquerait une incertitude plus sérieuse sur l’état de l’économie américaine et la santé de l’économie mondiale. Le rythme de hausse devrait être très lent. A priori la Fed s’efforcera de lisser les conséquences que pourraient avoir son intervention sur les pays émergents. Un relèvement tous les six à neuf mois n’est pas à exclure.
A plus long terme, selon l’institution monétaire, le taux directeur d’équilibre de long terme se situerait à 3,5%. Il y a six à douze mois, un chiffre de 4% avait été mentionné. De ce fait il parait très hasardeux de se prononcer avec précision sur ce que pourrait le taux directeur à un horizon de 24 mois.

Quelles incidences devraient avoir la remontée des taux directeurs de la Fed sur les marchés financiers ?
Il parait évident que la poursuite de la normalisation de la politique monétaire américaine alimentera la volatilité sur l’ensemble des classes d’actifs de manière durable. La question clé que les investisseurs devraient garder à l’esprit est notamment celle de savoir si l'économie mondiale peut supporter une augmentation du coût du financement en dollar.

Pour ce qui est des pays émergents, vous escomptez une stabilisation en Chine. Et vous identifiez la Russie et le Brésil comme étant les principales sources de menace ?
Depuis 2011, nous avons adopté une approche prudente sur les pays émergents. Nous avons arrêtés un scénario de « bumpy landing » qui se situe entre le « hard landing » (récession généralisée) et le « soft landing » (atterrissage en douceur).
L’essoufflement des pays émergents est plus ou moins fort selon les zones en raison de déséquilibres internes (par exemple, la consommation ne représente que 36% du PIB en Chine et l’investissement 45%) et du poids de l’endettement en dollar. Cependant, nous sommes d’avis que nous ne devrions pas avoir de « hard lending », même si le risque devrait persister et les ajustements prendre du temps.
Des politiques contra cycliques sont à l’œuvre en Chine dont on ne ressent pas encore tous les effets. Les agrégats monétaires rebondissent, ce qui devrait se traduire de manière tangible par une amélioration de la sphère réelle dans quelques mois.

D’aucuns n’hésitent pas à envisager un grand programme de quantitative easing de la part de la Banque centrale de Chine ?

La Banque centrale devrait continuer à adopter des mesures de soutien à l'économie. Néanmoins nous ne voyons pas se déployer un grand programme de quantitative easing comme celui de la Fed, de la BoE, de la BoJ ou de la BCE. Celle-ci ne serait pas d’une grande utilité pour opérer le rééquilibrage dont a besoin la Chine entre consommation et investissement.

Quid de la Russie et du Brésil ?
La Russie fait face à une problématique pétrolière aggravée par des tensions géopolitiques. A priori la menace d’un dérapage est encore limitée. La situation dans laquelle se trouve le Brésil est plus préoccupante.

Trois zones d’ombre sont identifiées sur le plan politique : les différentes élections en Europe, notamment en Espagne et au Portugal ; l’accentuation du conflit entre l’Ukraine et la Russie et l’intensification du bras de fer entre l’administration Obama et le Congrès à dominante républicaine. Quelle zone d’ombre vous semble la plus inquiétante ?
Nous sommes d’avis que le risque politique en Europe est contenu. Le risque le plus sérieux est à notre sens celui qui concerne l’opposition entre l’administration Obama et le Congrès à dominante républicaine.
Nous devrions avoir des négociations d’ici la fin de l’année sur le budget américain. Nous avons eu dernièrement un vote du Congrès sur le financement du service public américain jusqu’au 11 décembre. Demeure aussi la problématique du relèvement du plafond de la dette. Nous ne savons pas dans quelle mesure les primaires du coté des démocrates et des républicains pourrait affecter la décision du congressiste américain. Un blocage des discussions n’est pas impossible.

Ce risque est-il suffisamment appréhendé par le marché ?
Le marché a appris à vivre avec ce risque depuis 2011. Il n’est pas pour autant prêt à être confronté à un total blocage des échanges.

La faiblesse des réformes structurelles au Japon est-elle source de danger pour les marchés ?
Nous ne pensons pas que le Japon constitue un danger en tant que tel. Ce qui pourrait être perturbant c’est d’avoir une Banque centrale japonaise qui accroisse beaucoup plus son quantitative easing. Une dévaluation supplémentaire du yen renforcerait le risque de déflation dans le reste du monde, notamment dans l’Asie émergente.

In fine, le tableau général est propice aux actifs risqués, singulièrement aux actions européennes ?

Le tableau est contrasté. Si la reprise est au rendez vous dans les grands blocs développés, et en particulier en Europe, les pays émergents ralentissent. Par ailleurs, des risques persistent. Nous privilégions les actions des pays développés et plus particulièrement les actions européennes.
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