par Seyhmus Cakan

DIYARBAKIR, Turquie, 28 novembre (Reuters) - Un avocat kurde de renom, militant des droits civiques, a été tué d'une balle dans la tête dans des circonstances confuses samedi à Diyarbakir, la grande ville majoritairement kurde du sud-est de la Turquie.

Pour le Parti démocratique des peuples (HDP, pro-kurde), Tahir Elci, qui était le bâtonnier du barreau local, a été la cible d'un "assassinat planifié".

Le Premier ministre, Ahmet Davutoglu, a appelé lui à la prudence, soulignant qu'à ce stade de l'enquête, il n'était pas possible d'établir si l'avocat avait été pris dans une fusillade visant, selon son gouvernement, des policiers, ou s'il avait été assassiné.

Le président Recep Tayyip Erdogan a indiqué pour sa part que ces coups de feu montraient que la Turquie est dans le vrai quant à sa "détermination à combattre le terrorisme".

Des vidéos tournées sur place montrent un échange de tirs dans la rue où l'avocat, de même que deux policiers, ont trouvé la mort.

Tahir Elci avait été arrêté et brièvement détenu le mois dernier pour avoir déclaré sur la chaîne de télévision CNN Türk que le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) n'était pas un groupe terroriste tout en condamnant le recours à la violence. Des poursuites avaient été engagées contre lui. (voir )

Des témoins ont rapporté que l'avocat avait été visé alors qu'il parlait à des journalistes d'un minaret historique endommagé il y a quelques jours lors d'affrontements. "Dès que sa déclaration a été terminée, la foule a été prise sous le feu des balles", a dit Omer Tastan, responsable local du Parti démocratique des peuples (HDP, pro-kurde) "Elci a été atteint par une seule balle dans la tête", a-t-il poursuivi, ajoutant que onze personnes avaient été blessées.

SCENES CONFUSES

Plusieurs médias, dont Reuters TV, ont filmé la fusillade. Les autorités ont également diffusé des enregistrements des caméras de vidéosurveillance. Mais l'analyse de ces vidéos ne permet pas d'établir l'enchaînement des événements.

Sur la vidéo diffusée par la police, on voit une voiture jaune arriver sur les lieux et des policiers courir dans sa direction. Des coups de feu sont tirés depuis le véhicule et deux policiers tombent au sol tandis que la foule se disperse en courant. Les images de Reuters TV montrent des policiers tirer à plusieurs reprises sur un homme qui court dans la direction d'Elci, qu'ont voit ensuite gisant au sol, du sang s'écoulant de sa tête.

"Tahir Elci a été pris dans un échange de coups de feu entre la police et des terroristes", a déclaré le ministre de l'Intérieur, Efkan Ala, indiquant que les coups de feu visaient la police.

A l'appel du HDP, plusieurs centaines de personnes ont manifesté à Istanbul aux slogans de "Solidaire contre le fascisme" et "Tahir Elci est immortel". "La place laissée vacante par Tahir Elci sera reprise par des milliers d'autres Tahir Elci qui poursuivront la lutte pour le droit et la justice", a indiqué le HDP.

La police a dispersé les protestataires par des tirs de grenades lacrymogènes et à l'aide de canons à eau.

La formation pro-kurde a affirmé que l'avocat était la cible du Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir et a demandé que les partis politiques, la société civile et les organisations professionnelles "fassent entendre leurs voix" en signe de protestation.

Parlant d'un "jour très sombre pour la Turquie", Emma Sinclair-Webb, de l'organisation Human Rights Watch, a jugé que "le meurtre de Tahir Elci est un coup dévastateur pour les militants des droits de l'homme mais aussi pour tous ceux qui veulent voir la justice et l'Etat de droit prévaloir en Turquie". (avec Gulsen Solaker à Ankara et Humeyra Pamuk à Istanbul; Nicolas Delame, Pierre Sérisier et Henri-Pierre André pour le service français)