* Le rédacteur en chef du quotidien Cumhuriyet était visé

* Il n'a pas été touché

* Un journaliste couvrant le procès semble avoir été blessé

* L'agresseur a été arrêté par la police

* Les deux journalistes jugés encourent la perpétuité (Actualisé avec déclarations, contexte)

par Ayla Jean Yackley et Melih Aslan

ISTANBUL, 6 mai (Reuters) - Le rédacteur en chef du quotidien turc d'opposition Cumhuriyet s'est fait tirer dessus vendredi à Istanbul devant le tribunal où il était jugé pour espionnage et divulgation de secrets d'Etat, quelques instants avant l'énoncé du verdict, a constaté un journaliste de Reuters.

L'agresseur a crié "traître" avant de tirer deux ou trois coups de feu rapprochés en direction de Can Dündar dont le procès est considéré, par les détracteurs du président turc Recep Tayyip Erdogan, comme emblématique de la volonté du pouvoir d'étouffer la liberté de la presse.

Can Dündar n'a pas été blessé mais il semble qu'un autre journaliste qui couvrait son procès ait été touché.

L'agresseur a été arrêté par la police. Avant de tirer, il s'était approché des journalistes qui patientaient devant le tribunal, disant qu'il attendait depuis l'aube et qu'il espérait que Can Dündar serait déclaré coupable. Ses motivations et ses antécédents restent inconnus.

"C'est le résultat de la provocation", a déclaré Can Dündar quelques instants après les tirs. "Si vous faites de quelqu'un à ce point une cible, voilà ce qui arrive."

Can Dündar et Erdem Gül, chef du bureau de Cumhuriyet à Ankara, encourent la prison à perpétuité. Ils étaient jugés pour espionnage et tentative de renversement du gouvernement. Ils ont diffusé en mai 2015 une vidéo censée montrer les services de renseignements turcs en train de transporter des armes en Syrie en janvier 2014.

Selon le récit de leurs avocats, le procureur n'a pas retenu l'accusation d'espionnage dans son réquisitoire. Il a toutefois requis une peine de 25 ans de prison pour Can Dündar pour appropriation et divulgation de secrets d'Etat. Pour Erdem Gül, il a demandé dix ans de prison pour les avoir publié.

"LE JOURNALISTE EN PROCÈS"

"Nous sommes désormais en procès à cause de notre article : pour avoir acquis et publié des secrets d'Etat", a déclaré Can Dündar à Reuters lors d'une interruption de séance avant les tirs. "Cela confirme que c'est le journalisme qui est en procès, ce qui facilite notre défense et rend plus difficile une condamnation."

Le président turc Recep Tayyip Erdogan, qui était partie au procès, a accusé les deux hommes d'avoir porté atteinte à la réputation internationale de la Turquie et a souhaité que Can Dündar paye le "prix fort". L'opposition a évoqué un procès politique.

Sous le règne de l'AKP, le Parti de la justice et du développement fondé par Recep Tayyip Erdogan, les contrôles se sont accrus envers la presse d'opposition, souvent accusée de soutenir le terrorisme.

Le chef de l'Etat a reconnu que les camions arrêtés par la gendarmerie et la police alors qu'ils se dirigeaient vers la frontière syrienne appartenaient aux services de renseignement turcs. Il a dit qu'ils transportaient de l'aide pour les Turkmènes en lutte à la fois contre l'Etat islamique et le président syrien Bachar al Assad.

"Cette affaire ne repose pas sur le droit; elle est politique", a déclaré Mahmut Tanal, un député du Parti républicain du peuple (CHP, socialiste laïque).

Can Dündar et Erdem Gül ont passé 92 jours en prison, dont près de la moitié à l'isolement, avant que la Cour constitutionnelle ne juge cette détention préventive infondée en février dernier.

Le mois dernier, les forces de l'ordre turques se sont retrouvées sur le banc des accusés dans le cadre du procès pour le meurtre, il y a dix ans, d'un influent journaliste de la communauté arménienne, Hrant Dink.

Ce dernier dirigeait un journal destiné aux 60.000 chrétiens arméniens vivant en Turquie. Il avait été abattu en plein jour en 2007 dans une rue très passante d'Istanbul. (Danielle Rouquié pour le service français)