par Polina Devitt et Natalia Shurmina

MOSCOU, 30 juillet (Reuters) - Le groupe russe Uralkali a déstabilisé mardi le marché de la potasse en décidant de se séparer de son partenaire biélorusse Belaruskali.

L'éclatement de leur coentreprise BPC (Belarus Potash Company) laisse prévoir une guerre des prix, perspective qui a fait chuter les cours de Bourse des producteurs de potasse, l'un des principaux ingrédients des engrais.

La baisse des prix annoncée pourrait aussi entraîner l'annulation de projets de développement dans le secteur mais faire le jeu des agriculteurs et, au-delà, des consommateurs.

"C'est comme si l'Arabie saoudite décidait de quitter l'Opep - les cours du pétrole dégringoleraient immédiatement", commente Dmitri Rijkov, trader chez Renaissance Capital à Moscou.

La fin de BPC laisse l'américain Canpotex comme principal exportateur mondial de potasse. Les sociétés qui le composent - Potash Corp of Saskatchewan, Mosaic et Agrium Inc - ont vu leur cours de Bourse chuter avec pour effet de faire fondre leur capitalisation d'environ 14 milliards de dollars.

BPC et Canpotex assuraient à elles deux 70% des échanges mondiaux de potasse et le duopole avait fixé des prix identiques pour des marchés clés comme la Chine et l'Inde.

Dans les dernières années, les deux groupements avaient relevé leurs prix bien au-dessus des coûts de production, selon un haut responsable d'une firme de potasse indienne qui a requis l'anonymat. "Cela a fait du mal aux entreprises indiennes, aux paysans et au gouvernement", a-t-il dit. "La fin du cartel limitera leur pouvoir et cela fera certainement baisser les prix de la potasse."

Vladislav Baumgertner, directeur général d'Uralkali, a expliqué que le producteur russe avait un différend avec Belaruskali et exporterait désormais via sa filiale de négoce Uralkali Trading, basée en Suisse.

"Dans un avenir proche, la concurrence va se renforcer - cela poussera les prix à la baisse", a-t-il dit.

LES PRIX BAISSERAIENT D'UN QUART

De 400 dollars actuellement, Uralkali prédit que les cours mondiaux de la potasse tomberont sous 300 dollars la tonne avant la fin de l'année. En conséquence, les prix de l'engrais devraient baisser, ce qui pourrait entraîner une hausse de la demande, notamment en Asie où bon nombre de fermiers n'avaient pas les moyens d'en développer l'utilisation.

Uralkali, dont les coûts s'élèvent à environ 60 dollars pour produire une tonne de potasse, a dit s'attendre à ce que les cours restent au-dessus des 200 dollars la tonne à cause des producteurs européens et nord-américains qui ont des coûts plus élevés.

La potasse est le principal produit d'exportation de la Biélorussie, l'ex-République soviétique restée la plus proche de Moscou mais dont l'économie stagne depuis une crise financière en 2011.

Belaruskali et Uralkali étaient alliés depuis huit ans au sein de BPC, et leur coentreprise contrôlait 43% du marché mondial. Elle a commencé à se fissurer en début d'année sur fond de rumeurs de dissensions entre les deux partenaires.

Uralkali, qui prévoit de vendre pour 10,5 millions de tonnes de potasse cette année, entend continuer d'augmenter ses ventes en visant en particulier les pays émergents, Chine en tête.

Mais l'annonce de la fin de son alliance avec Belaruskali a fait chuter son cours de Bourse de 19% et ses concurrents ont subi le même traitement. Potash Corp et Mosaic lâchaient autour de 20% à Wall Street vers 17h00 GMT tandis que Agrium, moins exposé sur la potasse, limitait sa baisse à 5%.

En Europe, l'allemand K+S s'est effondré de 24,6% à la Bourse de Francfort.

La baisse des prix risque de remettre en cause de nouveaux projets dans le secteur, note Konstantin Iouminov, analyste chez Raffeisenbank.

Le groupe minier BHP Billiton prévoit d'ouvrir en 2017 la plus grande mine de potasse du monde dans l'ouest du Canada. La décision de financer ou non le projet Jansen, d'un montant de 14 milliards de dollars, n'a pas encore été prise et BHP s'est refusé à tout commentaire mardi.

Uralkali a d'ores et déjà décidé de repousser un projet d'ouverture d'une mine qui devait accroître ses capacités de 2,5 millions de tonnes. (avec Zlata Garasyuta et Victoria Andreeva à Moscou, Andrei Makhovsky à Minsk, Rajendra Jadhav à New Delhi, Clara Ferreira-Marques à Londres, Niluksi Koswanage à Kuala Lumpur, Henrik Stolen à Oslo et Rod Nickel à Winnipeg, Véronique Tison pour le service français, édité par Wilfrid Exbrayat)