par Patricia Uhlig, Karen Lema et John O'Donnell

Wirecard a dit craindre lundi qu'une somme totale de 1,9 milliard d'euros comptabilisée dans son bilan financier n'ait en fait jamais correspondu à rien, un trou énorme qui menace d'emporter l'entreprise et place aussi dans la tourmente l'autorité des marchés financiers en Allemagne, accusée d'inaction.

Longtemps coqueluche des investisseurs, le spécialiste allemand des paiements, qui compte dans sa clientèle des géants comme Visa et Mastercard, a ouvert des négociations en urgence avec ses banques créancières, auxquelles il doit environ 1,75 milliard d'euros, pour tenter d'éviter une crise de liquidité déclenchée par ce trou dans ses comptes, qui représente environ un quart de son bilan.

Wirecard a aussi déclaré réfléchir à une vente ou à une fermeture de certaines de ses activités mais ses banques ne sont pas intéressées par des cessions effectuées dans la panique, d'autant que les acheteurs potentiels risquent d'être peu nombreux au vu des risques juridiques, a dit à Reuters une source proche des discussions.

Plus d'une dizaine de banques, dont ABN Amro et Commerzbank, ont entrepris de se regrouper au sein d'un comité de créanciers et ont confié le dossier au cabinet juridique Allen & Overy, ont dit deux sources proches des discussions.

Wirecard a pour sa part sollicité l'aide de la banque d'investissement Houlihan Lokey.

Felix Hufeld, président de la BaFin, l'autorité des marchés financiers en Allemagne, a qualifié cette crise de "désastre complet".

"C'est un scandale qu'une telle chose ait pu se produire", a-t-il dit.

DES PETITS PORTEURS LÉSÉS

La BaFin est toutefois elle-même aussi sous le feu de critiques. Il lui est reproché de n'avoir rien vu venir alors que le cours de Bourse de Wirecard vient de s'effondrer de plus de 85% en trois séances, faisant fondre sa capitalisation de 11 milliards d'euros au détriment de nombreux petits porteurs ou de grands gérants de portefeuilles.

L'autorité des marchés s'est longtemps concentrée sur les vendeurs à découvert et les médias évoquant des irrégularités dans les comptes de Wirecard, ce qui lui vaut aujourd'hui d'être critiquée pour ne pas avoir tourné son attention vers le fond du problème.

La justice allemande a déclaré lundi enquêter sur tous les volets de cette affaire, sans plus de commentaire.

Le parquet allemand pourrait lancer des mandats d'arrêt contre Markus Braun, qui a démissionné de la présidence du directoire vendredi, et Jan Marsalek, limogé lundi de son poste de directeur général adjoint, a-t-on appris de deux sources.

Les deux hommes sont autrichiens et présentent donc un risque de fuite, selon ces sources. Leurs avocats ont refusé de s'exprimer.

Outre le trou de 1,9 milliard d'euros, Wirecard, qui a repoussé jeudi dernier la publication de ses comptes 2019 faute de leur validation par le cabinet EY, a annoncé lundi le retrait de ses résultats préliminaires 2019, de ceux du premier trimestre 2020 et de ses prévisions.

"Sur la base d'un examen plus approfondi, le directoire de Wirecard juge probable que les soldes des comptes en fiducie d'un montant de 1,9 milliard d'euros n'existent pas", écrit le groupe dans un communiqué.

L'agence de notation Moody's, qui avait abaissé vendredi la note de crédit de Wirecard en catégorie spéculative, a annoncé lundi qu'elle renonçait à sa notation en raison de son incapacité à vérifier les comptes du groupe.

(Avec Douglas Busvine à Berlin et Arno Schuetze à Francfort; version française Claude Chendjou et Bertrand Boucey, édité par Jean-Stéphane Brosse)