"Quel regard portez-vous sur la correction enregistrée sur le marché des actions européennes depuis le début de l’année. Sur le mois de janvier, l’Eurostoxx enregistre une contre performance de plus de 8% ?
Cette correction a plusieurs raisons d’être. Tout d’abord, le décalage manifeste acté par le marché entre les propos volontaristes tenus par Mario Draghi en novembre 2015 et les mesures prises par la BCE en décembre. Celui-ci a donné lieu à une double interrogation : sur l’impuissance de l’institution monétaire de la zone euro à utiliser tous les outils à sa disposition pour soutenir la région, et sur les dégâts économiques engendrés par l’absence de réformes structurelles de certains Etats membres parallèlement à l’injection d’une abondante liquidité dans le système par la BCE.
Un questionnement a également porté sur l’efficacité des politiques de quantitative easing à deux niveaux : celui de la sortie de cette politique au regard du faible relèvement de taux par la Fed en décembre de 25 points de base alors que l’activité américaine tourne à plein régime et compte tenu de la vulnérabilité affichée par les pays émergents ; et celui du caractère tardif du programme de quantitative easing de la BCE.
Le catalyseur de ces différentes controverses a été la crainte d’un ralentissement économique plus prononcé que prévu de la Chine consécutivement à l’action de la Banque centrale de Chine sur la bande de fluctuation du yuan en vue d’obtenir sa dépréciation d’abord à l’été 2015 puis au début du mois de janvier et à la suite de la parution d’indicateurs avancés défavorables sur le secteur manufacturier chinois établis à partir d’enquêtes auprès d’un panel de directeurs d’achats, après dix mois de baisse de la production industrielle dans le pays.
S’est ajouté à ce climat une préoccupation à propos de la détérioration des fondamentaux économiques de plusieurs pays émergents massivement producteurs de matières premières.

Quelle lecture faites-vous de la violence du mouvement ?

Nous l’expliquons par le fait que la hausse du marché des actions américaines ces dernières années avait été alimentée à hauteur de 50% par des opérations d’optimisations financières : rachats d’actions, distribution exceptionnelle de dividendes. A côté d’une vive consommation, l’investissement des entreprises dans les capacités de production a été atone. L’espoir qui entretenait le rallye boursier était celui de voir la multiplication des opérations de fusion-acquisition pour générer de la croissance externe à défaut de croissance organique.
La décote en termes de prime de risque des actions européennes par rapport aux actions américaines amenait par ailleurs à penser que les entreprises américaines feraient leurs emplettes en Europe pour étoffer leurs capacités opérationnelles.
Brusquement, le marché s’est aperçu que les perspectives de croissance mondiale étaient très modérées et pouvait l’être d’autant plus si le taux de croissance de la Chine était effectivement bien plus bas que celui avancé par les autorités. Dans ces conditions, face à l’ébranlement de la confiance des dirigeants d’entreprises, le rythme des opérations de fusion-acquisition était destiné à ralentir.

Pensez-vous que l’accélération du repli du cours du baril est majoritairement associée à l’inquiétude accentuée portant la bonne santé économique de la Chine ?

Le cas de la Chine explique probablement cette accélération à 50%. Le monde des matières premières et du pétrole tournait beaucoup autour des capacités de consommation de la Chine. Il y a, par ailleurs, eu la volonté de l’Arabie Saoudite d’affecter l’industrie des sociétés exploratrices américaines et de contrecarrer le retour de l’Iran sur le marché du pétrole après la levée des sanctions internationales. L’Iran a été autorisé à exporter 500 000 barils par jour.
L’alourdissement des pressions baissières sur le baril trouve également sa source dans l’extraordinaire résistance du pétrole de schiste américain. Si de nombreuses entités d’exploration américaines ont fait faillite, celles qui ont pu résister se sont organisées afin de pouvoir encaisser le choc auquel elles faisaient face : en repérant les gisements les plus productifs, en exploitants les puits les plus productifs, en travaillant sur une réduction du cout d’exploitation des puits, en rognant les marges des fournisseurs de la chaine logistique d’extraction et d’utilisation du pétrole. Ces différentes actions ont permis de faire descendre le cout de revient en dessous de 30 dollars par baril, contre 50 dollars auparavant.

De quelle manière voyez-vous le baril évoluer ?

Nous devrions être en mesure de renouer avec un prix d’équilibre au cours du premier semestre 2016. Tout le monde y a intérêt.

Malgré la rupture des relations diplomatiques entre l’Arabie Saoudite et l’Iran ?

Tout à fait. Chacun des deux pays voudra éviter un embrasement dans la région.

Que vous parait être le niveau du prix d’équilibre ?
Entre 25 et 30 dollars au premier semestre, peut être 27 dollars. Il se peut que le cours s’élève entre 40 et 50 dollars d’ici un an, peut être 45 dollars.

Etes-vous d’avis que l’inquiétude autour de la Chine devrait s’atténuer au cours des mois à venir ?
L’apaisement de la nervosité du marché sera fonction de plusieurs facteurs : ce que fera la BCE au mois de mars à la suite des engagements pris par Mario Draghi pour atteindre l’objectif d’une inflation en dessous mais proche de 2% à moyen terme et conserver sa crédibilité, l’évolution des risques géopolitiques…

Qu’attendez-vous de la part de la BCE en mars ?
Un abaissement du taux de rémunération des dépôts à -0,50% pour favoriser le refinancement de l’économie. Ceci dirigerait l’eonia vers -0,40% et les taux italiens à deux ans en dessous de 0. La BCE devrait également prolonger la durée de son programme de quantitative easing à septembre 2017, au lieu de mars 2017 et augmenter le montant de ses achats de titres de 60 à 80 milliards d’euros.

Est-ce à dire qu’il y aurait un élargissement du champ des actifs éligibles ?

Indubitablement. A partir du deuxième trimestre 2016, plusieurs Etats membres de la zone euro, dont l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie vont avoir de moins en moins de titres disponibles sur le marché alors que la BCE va en acheter de plus en plus. Cela va mécaniquement, par un effet rareté, tirer les taux plus bas. Le taux à dix ans allemand, aujourd’hui à 0,4%, pourrait descendre à 0,2%, voire en dessous. Le gisement des titres d’Etat devrait donc s’avérer insuffisant pour satisfaire le montant d’achats d’actifs de la BCE.
Il a été fait mention d’une orientation vers les titres de dette des collectivités locales. Il pourrait être décidé d’inclure les obligations d’entreprises de bonne qualité pour maintenir un lien entre l’aspect liquidité et l’aspect fondamental des émetteurs qui ne peut plus être assuré par les compagnies d’assurance en raison de Solvency II ni par les banques en raison des contraintes de solvabilité bancaire.

Que pressentez-vous du coté de la Fed ?

La Fed devrait remonter ses taux de manière beaucoup plus graduelle qu’attendu jusque là pour aider la Chine à endiguer les fuites de capitaux. Nous anticipons deux hausses des taux à la fin du premier trimestre et du deuxième trimestre sur fond d’une stabilisation du cours du baril, d’une hausse des revalorisations salariales, et à l’approche des élections américaines. La Fed se doit de se reconstituer une marge manœuvre en vue de soutenir une économie américaine qui tomberait en récession en 2017 ou 2018. Elle n’intervient toutefois habituellement jamais pendant ces élections pour montrer son indépendance vis-à-vis de la politique.

Quels sont les principaux risques identifiés dans votre radar ?

Le Brexit est une réelle menace. Domine au Royaume-Uni un sentiment de frustration, anti européen.
Sur de nombreux points la situation de la France se rapproche de la situation de la Grèce. Il y a dans les deux cas, un déficit structurel, une désindustrialisation, une problématique de confiance. Deux problèmes encombrent l’Hexagone avec une grande acuité, le manque de flexibilité sur le marché du travail et le niveau très élevé des dépenses publiques. Il y a un véritable danger d’une absence de courage politique pour remédier à ces deux problèmes.

Le risque d’une crise des émergents vous parait-il sérieux ?

Sans conteste, le vif repli des cours des matières premières, pétrole en tête, est source de dommages significatifs dans de nombreux pays émergents. Il y a deux ans, le budget algérien était bâti sur un prix du pétrole à 90 dollars. Le Brésil est dans une situation de récession et en proie à un significatif enjeu de gouvernance avec une procédure de destitution de Dilma Roussef qui s’enlise. Le Venezuela est déjà en faillite. Le Nigeria doit composer avec des tensions sociales. La Russie est aussi en grande souffrance.
Même l’Arabie Saoudite doit faire face à une dégradation de ses fondamentaux, avec un déficit courant de 22%. Elle a été forcée d’augmenter son endettement. Une réflexion a été développée sur l’introduction en bourse de leur jambe pétrolière, Aramco, afin de récupérer une source de financement importante afin de faire face au déficit et à la dette.
Malgré ces zones d’ombre, je ne table pas pour autant sur une véritable crise des émergents.

Quelle est votre allocation d’actifs à l’heure actuelle ?

Du fait des diverses incertitudes qui existent à travers le monde, nous privilégions une seule région : la zone euro. Les Etats-Unis se situent en fin de cycle. Le Japon est très impacté par ce qui se passe en Chine. Nous mettons l’accent sur la thématique de la consommation domestique.
Sur le front des obligations, nous sommes positionnés sur les obligations subordonnées des banques et les obligations des entreprises de matières premières d’importance stratégique nationale en France qui offrent des rendements comparables à ceux des actions sur le long terme.

Comment faire face à l’exacerbation des mouvements de marché ?

L’action des banques centrales ne permet plus d’absorber toute la volatilité. Il faut être plus réactif et diversifier au maximum ses risques.

Avec quel potentiel de performance pourrait-on terminer l’année ?

Sur le plan fondamental, les marges des entreprises européennes sont en train de se reconstituer contrairement aux entreprises américaines. En outre il existe 2% d’écart entre la prime de risque des actions européennes par rapport aux emprunts d’Etat et celle des actions américaines, dans le premier cas on est à 4% et dans le second cas à 6%. Il y a lieu d’aller vers les actifs les plus décotées qui ont une part de valeur ajoutée dans le PIB mondial. Si la BCE pousse les taux à tomber plus bas, il est nécessaire de prendre un peu de risque pour récupérer du rendement."