De l'avis général, Georges Plassat, PDG depuis 2012, a remis sur les rails un distributeur à la dérive qui avait divisé par deux ses investissements et ses dividendes.

Il a effectué les cessions permettant de réinvestir, rationalisé l'exécution, les services informatiques et la logistique. Il a aussi racheté le réseau français de l'espagnol Dia pour alléger le poids des hypers en France, ainsi que Rue du Commerce pour lancer l'omnical.

Le groupe signe en outre de très solides performances sur son deuxième marché, le Brésil, malgré la crise, tout comme en Espagne, son troisième pays.

Mais après trois ans de hausses, le résultat opérationnel a reculé en 2016, rattrapé par les difficultés des hypermarchés français qui pèsent pour 25% des ventes du groupe et 52% de celles de l'Hexagone, et qui ont dégradé la rentabilité.

"Carrefour est jugé sur ses résultats en France car c'est là que se situent les enjeux et là que le redressement de la marge a du mal à se matérialiser", relève Olivier Baduel, responsable de la gestion Actions Large Cap d'OFI AM.

Le titre Carrefour, qui était tombé à 14,00 euros en juin 2012 à la nomination de Georges Plassat comme PDG, a atteint un sommet à 32 euros en avril 2015 avant de reculer à nouveau.

Il accuse depuis lors une baisse de 34% et s'échange autour de 21 euros, en recul de 5% depuis le début d'année.

La valorisation du deuxième distributeur mondial derrière l'américain Wal-Mart reste à la traîne, avec un multiple de 12 fois les résultats estimés pour 2018, contre 13,3 pour le néerlandais Ahold, 14 pour le français Casino et 18 pour le belge Colruyt.

PEU DE PROGRÈS DANS LA RENTABILITÉ

Pour Grégoire Laverne, gérant chez Roche-Brune, "le groupe n'a toujours pas réussi à atteindre l'ambition de Georges Plassat affichée à son arrivée de reconstituer les marges pour les aligner sur celles des bons élèves du secteur".

La rentabilité opérationnelle de Carrefour, ressortie à 3,1% en 2016, contre 3,2% en 2015 et 2,8% en 2012, s'inscrit légèrement au-dessus des 2,9% de Casino mais loin derrière les 4,6% de Ahold ou les 5,5% de Colruyt.

Face à l'impatience des investisseurs, Georges Plassat, avare en prévision chiffrée, avait promis en juillet 2016 une amélioration de la marge en France en deux ans.

Il s'est cependant abstenu de toute indication lors de la présentation des résultats 2016, le mois dernier.

Certes, l'environnement est particulièrement difficile en France où la guerre des prix fait rage et où, contrairement à d'autres pays européens, 45% du marché est détenu par des acteurs indépendants non cotés - Leclerc en tête - qui n'ont pas les mêmes exigences de rentabilité.

Mais Carrefour "n'a pas trouvé la parade pour s'en sortir par le haut", souligne Nicolas Champ, analyste de Barclays.

Rattrapés par une féroce bataille de promotions engagée par Leclerc, ses hypermarchés ont été distancés et ont vu leur ventes reculer l'an dernier (-1,8% hors essence et effets calendaires), touchés aussi dans le non-alimentaire par la concurrence frontale des spécialistes du e-commerce.

Face à la désaffection de ces très grands magasins au profit de la proximité, certains comme Casino réduisent drastiquement leurs surfaces tandis que le PDG de Carrefour, lui, estime que ce format constitue "un socle qui continuera d'être important".

Il pense aussi avoir trouvé la parade avec le rachat de Dia, qui doit diminuer progressivement le poids des hypers à moins de 50% du chiffre d'affaires d'ici à 2020, et avec la reprise de Rue du Commerce en 2015 comme future plate-forme omnicanale.

STRATÉGIE DIGITALE TROP TIMIDE

Pour l'heure, la rénovation des magasins Dia s'est soldée par des pertes plus lourdes que prévu, tandis que la transformation digitale est jugée trop timide.

"La stratégie avec Rue du Commerce n'est pas encore aboutie. C'est arrivé un peu tard et on a peu de progrès", commente Olivier Baduel, tandis qu'un autre gérant ayant souhaité garder l'anonymat évoque une initiative qui "va dans le bon sens, mais n'est pas suffisante face aux défis posés par Amazon".

Certains investisseurs, qui estiment que Georges Plassat a tardé à investir dans le digital, pensent qu'un nouveau dirigeant, plus jeune, pourrait être plus offensif.

"Les investissements peuvent paraître insuffisants ou tardifs face aux changements de mode de consommation", relève Benoît de Broissia, analyste chez Keren Finance.

Le PDG appelle quant à lui les investisseurs à la patience, estimant avoir "préparé le futur" et avoir mis en place les fondations qui permettront au groupe de prendre un nouvel essor.

"La transformation s'inscrit dans le temps (...) Les trois années qui viennent devraient bénéficier de l'effet de nos investissements et de nos pratiques", a-t-il dit le 9 mars.

En 2016, la France, qui a représenté 47% des ventes et 44% du résultat opérationnel du groupe, a vu sa rentabilité perdre 40 points de base à 2,9%.

Corollaire de ces chiffres, la génération de trésorerie - un agrégat très surveillé par les investisseurs - est limitée par le poids de la France et jugée très insuffisante.

LES AUDITIONS POUR UN SUCCESSEUR SE POURSUIVENT

Le marché attend aussi la mise en Bourse des actifs brésiliens, promise depuis plusieurs années et différée pour cause de crise économique.

Cette opération permettra de mettre en valeur la réussite de Carrefour dans le pays même si, pour le gérant d'OFI AM, "coter ses joyaux n'est pas toujours une bonne nouvelle".

"Il faudra regarder de près ce pour quoi cette opération est réalisée et si cela signifie ou non, pour les nouveaux actionnaires, un début de scission du groupe", dit-il.

Depuis 2012, l'actionnariat de Carrefour a profondément évolué. La famille Moulin, propriétaire des Galeries Lafayette, en est devenue le premier actionnaire (11,5% du capital) devant la holding familiale de Bernard Arnault, PDG de LVMH (8,74%), et le magnat brésilien Abilio Diniz (8,05%).

Pour l'heure, les actionnaires doivent s'entendre sur le nom du successeur de Georges Plassat, qui souhaite passer la main un an avant l'échéance de son mandat prévue en 2018 et s'est prononcé pour une candidature interne susceptible d'éviter "les ruptures dans la stratégie" - une option que certains, comme les analystes de Bernstein, ne voient pas d'un bon oeil.

Les auditions des candidats internes sont terminées, celles des candidatures externes qui ont la faveur des grands actionnaires ont commencé, selon des sources proches du dossier.

Les noms de Pascal Clouzard, directeur de Carrefour Espagne, d'Alain Caparros, qui s'apprête à quitter l'allemand Rewe, ou de Hubert Joly, directeur général de l'américain Best Buy, continuent de figurer sur la liste des prétendants présumés, en dépit des démentis apportés.

Les grands actionnaires se sont refusés à tout commentaire sur le processus en cours, qui pourrait aboutir avant l'assemblée générale prévue le 15 juin.

Le groupe publiera son chiffre d'affaires du premier trimestre le 13 avril.

(Edité par Dominique Rodriguez)

par Pascale Denis et Dominique Vidalon