par Nate Raymond

NEW YORK, 15 juillet (Reuters) - Le procès de Fabrice Tourre, ancien trader de Goldman Sachs, qui s'est ouvert lundi à New York est celui de la "cupidité de Wall Street", a déclaré un avocat de la Securities and Exchance Commission (SEC).

L'autorité financière américaine accuse ce Français de 34 ans d'avoir trompé les investisseurs en leur proposant un produit complexe, appelé Abacus 2007-AC1, qui comprenait des titres adossés à des créances hypothécaires.

Il s'agit du procès le plus important issu de l'enquête de la SEC sur les évènements ayant conduit à la crise de 2008.

Le produit mis au point par l'accusé a été "secrètement conçu pour maximiser l'éventualité de son échec" au bénéfice d'un fonds de pensions qui en a tiré un milliard de dollars environ, a déclaré Matthew Martens, avocat de la SEC.

"En fin de compte, c'est la cupidité de Wall Street qui a amené M. Tourre à mentir et à tromper", a-t-il ajouté.

La SEC cherche à faire du prévenu un bouc émissaire, a rétorqué son avocate Pamela Chepiga. "Dans cette affaire, il ne s'agit pas question de savoir si on approuve Wall Street ou pas", a-t-elle souligné.

Le procès, qui doit s'étaler sur trois semaines, résulte d'une plainte déposée en 2010 par la SEC.

Pour simplifier, comme l'a résumé la juge de district Katherine Forrest le mois dernier, les autorités boursières accusent le trader français "d'avoir présenté au Petit Chaperon rouge une invitation à aller voir sa grand-mère tout en occultant le fait que celle-ci était écrite par le Grand Méchant Loup."

Selon la SEC, le loup en question était John Paulson, gérant de "hedge fund" milliardaire, célèbre pour avoir parié contre les titres hypothécaires à risque, les fameux "subprimes", qui ont été le grand élément déclencheur de la crise.

"FABULOUS FAB"

En 2006, le fonds alternatif de John Paulson, Paulson & Co, s'est adressé à Goldman Sachs pour lui demander de l'aider à prendre des positions contre les "subprimes", indique la SEC.

Ils ont discuté d'Abacus, qui permettrait à John Paulson de choisir les actifs sous-jacents du portefeuille de prêts immobiliers, puis de jouer contre ces titres via un outil de couverture des risques appelé credit default swap (CDS).

A l'époque, Fabrice Tourre avait 28 ans et travaillait pour Goldman Sachs à New York. Il est devenu l'employé de la banque le plus actif sur Abacus, connu dans le métier sous le nom d'obligation collatéralisée synthétique.

Selon l'autorité boursière américaine, les documents commerciaux d'Abacus ne mentionnaient pas le rôle de John Paulson dans le choix des actifs sous-jacents, mais indiquait au contraire que la société ACA Capital Holdings en était chargée.

Le but de Fabrice Tourre, estime la SEC, était d'inciter les investisseurs à acheter le produit.

Dans un courrier électronique souvent cité qu'il a adressé à sa petite amie le 23 janvier 2007, il disait des marchés financiers: "L'édifice entier risque de s'effondrer. Seul survivant potentiel, 'Fabulous Fab' (...) debout au milieu de toutes ces opérations complexes, à fort effet de levier, exotiques, qu'il a créé sans forcément saisir toutes les implications de ces monstruosités."

Quand le marché des "subprimes" s'est retourné, les investisseurs, y compris IKB Deutsche Industriebank et ABN AMRO Bank NV, aujourd'hui détenue par RBS, ont perdu plus d'un milliard de dollars, dit la SEC. Pendant ce temps, John Paulson a gagné environ un milliard, ajoute-t-elle.

La SEC a attaqué le trader et Goldman Sachs en justice en avril 2010. Elle accuse Fabrice Tourre de fraude, de négligence, ainsi que d'avoir aidé et encouragé Goldman Sachs à violer la réglementation financière. John Paulson n'a pas été attaqué et Goldman Sachs a accepté en juillet 2010 de verser 550 millions de dollars pour obtenir l'abandon des poursuites.

Fabrice Tourre, qui a quitté Goldman et poursuit un doctorat en finances à l'Université de Chicago, a refusé une offre de solution à l'amiable, selon une source proche du dossier. (David Henry à New York et Tanya Agrawal à Bangalore, Juliette Rouillon et Jean-Philippe Lefief pour le service français)