« Honneur et patrie ». C'est la devise de la Légion d'honneur instituée par Napoléon Ier au début du XIXème siècle. Aujourd'hui, et contrairement à une idée reçue, on ne demande pas à devenir « légionnaire ». C'est toujours un ministre qui propose les nominations, sur la base des informations que ses services lui ont fait remonter. S'ensuit un complexe processus de sélection au terme duquel les propositions recevables sont adressées par la Grande chancellerie de l'Ordre au président de la République, qui décide souverainement de qui sera effectivement décoré ou promu.

Beaucoup d'appelés, peu d'élus

La dignité de grand' croix est la plus élevée des cinq que compte l'ordre légionnaire. Le Code de la Légion d'honneur fixe le nombre maximal de grand' croix à 75. Fin 2000, on en comptait 60. En outre, pas plus de 8 grand' croix peuvent être promus chaque année, dont 2 étrangers seulement.

C'est dire s'il s'agit d'une marque d'estime du président français envers l'homme d'affaires canadien Paul Desmarais, patron du holding Power Corp d'un côté de l'Atlantique, et co-actionnaire avec Albert Frère de Groupe Bruxelles Lambert (GBL) de l'autre ! GBL gère principalement des participations dans des groupes cotés en France (Total, Suez, Lafarge, Imerys, Pernod-Ricard...).

Le président peut déléguer la remise de la distinction, ou y procéder lui-même. C'est cette deuxième option qu'il a choisi dans le cas de Paul Desmarais, qui a été décoré de la croix enrubannée et de la plaque réglementaires dans le grand salon de l'Elysée. Le Premier ministre de la province canadienne de Québec, Jean Charest, était également présent. Ainsi que le fils de Paul senior, André, mais également Paul Desmarais junior, sa soeur, des petits-enfants...

Le Gotha francophone des affaires

Voilà pour le côté canadien. Car parmi les invités se trouvaient également les plus grandes fortunes françaises : Bernard Arnault (LVMH), Martin Bouygues, Serge Dassault, Claude Bébéar (AXA)... Et un autre francophone : le baron belge Albert Frère, associé de Paul Desmarais qui, comme lui, faisait partie des invités au fameux « dîner du Fouquet's » (voir à ce sujet notre article du 5 novembre 2007) ayant suivi l'élection du président.

Louis-Bernard Robitaille, journaliste du quotidien québécois La Presse – propriété de Paul Desmarais, dont son fils André est le patron... – n'a rien manqué de la réception. Il rapporte certains des propos tenus par M. Desmarais. Evoquant Albert Frère, le canadien a plaisanté : « lui a commencé avec la vente de clous à Charleroi, et moi avec les bus à Sudbury ».

Un président dithyrambique

Nicolas Sarkozy a rendu un hommage appuyé à Paul Desmarais, qu'il a tutoyé lors du discours accompagnant la cérémonie : « ton nom, cher Paul, est associé au récit prodigieux d’une ascension prodigieuse et à maints égards unique au monde : comment tu es parti de ta petite ville de l’Ontario pour arriver à bâtir un empire industriel et financier. Comment, à 24 ans, tu as commencé par acheter une compagnie d’autobus en faillite, pour un dollar – et un dollar canadien en plus ! Par la suite, tu as poursuivi cette ascension avec une devise simple : le plus grand risque d’une vie c’est de n’en prendre aucun ».

Et ce n'est pas tout : « si je suis aujourd’hui président de la République » a indiqué Sarkozy, « je le dois en partie aux conseils, à l’amitié et à la fidélité de Paul Desmarais. 1995 n’était pas une année faste pour moi [puisque Edouard Balladur, soutenu par Nicolas Sarkozy, avait été battu, NDLR]. Un homme m’a invité au Québec dans sa famille. Nous marchions de longues heures en forêt et il me disait : Il faut que tu t’accroches, tu vas y arriver, il faut que nous bâtissions une stratégie pour toi ». Voilà qui est clair !

Sarkozy se considère comme un Desmarais

Le président français a poursuivi : « preuve, cher Paul, que tu n’es pas Français, car il n’y avait plus un Français qui pensait ça. Nous avons passé 10 jours ensemble, au cours desquels tu m’as redonné confiance à tel point que, maintenant, je me considère comme l’un des vôtres. Et, sans vouloir inquiéter tes enfants, je peux dire que je me sens un membre de la famille – l’héritage en moins bien entendu ».

Le journaliste de La Presse rapporte également comment Paul Desmarais raconte sa rencontre avec le futur président français : « on m’a présenté cet homme politique encore tout jeune, et j’ai trouvé en lui une énergie formidable et une force de conviction telle que je me suis dit : c’est quelqu’un qui serait bien pour la France », a confié le patron de Power Corp.

La France et la corbeille

Un président français avait déclaré lors d'une conférence de presse que « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille » [de la Bourse de Paris]. C'était le 28 octobre 1966, et les journalistes présents avaient immédiatement applaudi cette phrase d'un certain général de Gaulle... Les choses ont bien changé depuis lors. Même si les corbeilles ne sont plus seulement parisiennes : le groupe Power Corp est coté en Bourse de Toronto, au Canada, et GBL à Bruxelles.