* L'oligarque Rinat Akhmetov émissaire auprès des pro-russes

* C'est un industriel important de l'est de l'Ukraine

* Après avoir soutenu Ianoukovitch, il cherche de nouveaux alliés

par Richard Balmforth

KIEV, 10 avril (Reuters) - La première fortune ukrainienne, le magnat de l'acier Rinat Akhmetov, joue les médiateurs entre les nouvelles autorités de Kiev et les séparatistes pro-russes de Donetsk, la ville dont il est originaire dans l'est du pays, histoire de protéger ses intérêts industriels dans l'Ukraine de l'après-Ianoukovitch.

Depuis lundi, disent ses proches, Rinat Akhmetov s'emploie activement à parler aux rebelles, sympathisant même avec certains d'entre eux, pour qu'ils mettent fin à l'occupation des bâtiments publics de Donetsk, son fief industriel.

C'est un pari. S'il échoue, disent ses proches, il pourrait être accusé de connivence avec Moscou et s'aliéner les nouveaux maîtres pro-occidentaux de Kiev. Ce qui pourrait compromettre ses affaires qu'il cherche justement à protéger.

A 47 ans, Rinat Akhmetov est à la tête d'une fortune estimée par le magazine Forbes à 11,4 milliards de dollars (8,2 milliards d'euros) qui va de l'acier aux mines en passant par l'énergie et les médias. Il est perçu comme un soutien de l'ex-président ukrainien pro-russe Viktor Ianoukovitch, renversé en février, mais les nouvelles autorités de Kiev ont besoin de son influence, dans une région proche de la Russie et où est concentrée une bonne partie de l'industrie ukrainienne.

Enfant de Donetsk, fils d'un mineur de la minorité tatare, Rinat Akhmetov emploie environ 300.000 personnes dans le secteur minier de la région russophone du Donbass. Cela pourrait se révéler un soutien utile pour les nouveaux dirigeants de Kiev dans une partie du pays où la population est fortement influencée par la propagande russe et qui a regardé avec méfiance la révolte pro-ocidentale de l'"Euromaidan" à Kiev.

FAN DE FOOTBALL

En tant qu'homme d'affaires, Rinat Akhmetov s'est fait connaître du public dans les années 90 après la chute de l'Union soviétique. Fan de football, il possède le FC Chakhtar qui lui a apporté la célébrité au niveau international, tout comme l'achat d'un appartement de 200 millions de dollars à Londres.

A Donetsk, il se montre un seigneur généreux. Il envoie des sucreries aux enfants des écoles le jour de la Saint-Valentin ou des manuels au début de l'année scolaire.

Il a aussi l'oreille des chancelleries occidentales. Le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier est venu le voir à Donetsk le mois dernier, en saluant un homme dont "la parole compte" et disant son espoir, qu'avec les autres oligarques, il se tienne prêt à résister aux velléités d'annexion prêtées à la Russie.

Rinat Akhmetov est présent aussi à Kiev. La société qui gère son empire, System Capital Management, a ses bureaux dans la capitale. Il a aussi racheté, pour le rénover, le grand magasin Tsoum de l'époque soviétique qui se trouve dans le secteur de la place de l'Indépendance, épicentre de l'"Euromaidan".

Mais son identification à Viktor Ianoukovitch, dont il a soutenu la campagne électorale en 2009-2010, n'en fait pas quelqu'un de très populaire dans la capitale. Il est resté loin des manifestations durant les trois mois de troubles qui ont débouché sur la fuite de Ianoukovitch en Russie fin février, se bornant, avec d'autres oligarques, à lancer des appels à la retenue lors du dénouement sanglant quand plus de 100 personnes ont été tuées par la police.

Dans ses contacts qu'il a voulu publics avec les activistes pro-russes qui ont pris de siège de l'administration régionale à Donetsk dimanche, Rinat Akhmetov s'est montré réceptif à leurs demandes d'amélioration du russe en Ukraine. Il s'est prononcé vigoureusement contre tout usage de la force par les autorités pour mettre fin à l'occupation.

"AVEC LE PEUPLE"

Si les forces de sécurité prennent d'assaut le bâtiment, il sera "avec le peuple", a-t-il dit, selon ses propos rapportés par le site internet d'Ukrainska Pravda.

Il a en même temps demandé aux séparatistes de mettre en sourdine certaines de leurs demandes, comme celle d'une "République de Donetsk" indépendante et d'engager un dialogue constructif avec le gouvernement.

Il se dit favorable à la décentralisation, conformément à ce que veulent les nouvelles autorités, mais a du mal à faire la différence avec le fédéralisme souhaité par Moscou et qui reviendrait, considère Kiev, à démanteler le pays.

Il a pris soin d'éviter tout contact avec Viktor Ianoukovitch depuis sa déposition et sa fuite en Russie.

"Il n'a pas rencontré Viktor Yanoukovitch, ni aucun membre de sa famille, depuis le 22 février, quand il lui a parlé à Donetsk et qu'il l'a incité à démissionner", déclare Jock Mendoza-Wilson, un des responsables de la communication de SCM.

Ses conseillers lui prêtent de bonnes relations avec le Premier ministre Arseni Iatseniouk et avec l'ancien boxeur Vitali Klitschko, qui devrait rester une personnalité importante dans la vie politique, même s'il a renoncé à se présenter à la présidence.

Rinat Akhmetov n'a pas dit quel candidat aura sa faveur le 25 mai. Selon certains commentateurs, il pourrait choisir de soutenir Mikhaïlo Dobkine, ancien gouverneur de la région de Kharkiv et qui représente le Parti des régions de Ianoukovitch, désormais à la dérive, et qui est aussi l'un de ses proches. (Danielle Rouquié pour le service français)