Si des spéculations couraient depuis l'été sur l'intérêt du milliardaire pour le principal opérateur irlandais, la structure de l'opération a créé la surprise : Xavier Niel investit pour la première fois en duo avec Iliad, maison-mère de Free, dont il est le fondateur et principal actionnaire.

Dans le détail, NJJ, holding personnelle de Xavier Niel, détiendra 32,9% d'eir tandis qu'Iliad prendra une participation de 31,6% après avoir déboursé 320 millions d'euros.

L'accord prévoit qu'Iliad aura la possibilité de prendre à terme le contrôle opérationnel du groupe irlandais en rachetant 80% de la participation de NJJ (26,3% du capital) via une option d'achat exerçable en 2024.

La clôture de la transaction, à l'issue de laquelle les actionnaires existants Anchorage Capital Group et Davidson Kepner conserveront une participation de 35,5%, est attendue au premier semestre 2018.

"Avec dans un premier temps une participation d'environ 32%, nous serons exposés à la création de valeur pour les prochaines années mais, la beauté de la transaction, c'est qu'elle nous permet, si nous voulons, de prendre d'ici 2024 le contrôle d'un opérateur historique européen sur un marché dynamique", a déclaré Thomas Reynaud, directeur financier d'Iliad, au cours d'une conférence téléphonique.

Xavier Niel avait jusque-là cloisonné ses emplettes personnelles dans les télécoms et les investissements d'Iliad.

L'entrepreneur s'est ainsi implanté en Suisse en prenant le contrôle à 100% de l'opérateur Salt, à Monaco, aux Comores, en Israël où il s'est depuis désengagé et bientôt au Sénégal, dans le cadre d'opérations souvent à caractère patrimonial et financier.

Mettre le pied en Irlande constituerait pour Iliad la deuxième incursion à l'international après l'Italie où il devrait devenir le quatrième opérateur mobile début 2018.

GARDER DES MARGES POUR UNE POSSIBLE CONSOLIDATION

En montant en deux temps au capital, ce qui lui évite de devoir consolider immédiatement la dette de 2,1 milliards de sa cible, Iliad se garde des marges de manoeuvre pour financer son lancement italien mais aussi pour profiter d'une éventuelle nouvelle tentative de consolidation en France.

"L'enjeu c'est que si nous nous achetions cet actif à 100% via Iliad, notre ratio de dette nette sur Ebitda dépasserait 3 et pour l'instant nous pensons pouvoir faire meilleur usage de notre ratio peu élevé. Nous préférons l'utiliser dans une consolidation (...) sur le marché où nous sommes", a expliqué Xavier Niel aux analystes financiers.

L'accord, conclu pour une valeur d'entreprise de 3,5 milliards d'euros dette comprise, valorise l'opérateur irlandais à un ratio peu élevé de moins de 6,5 fois son Ebitda 2017, estiment les analystes de Brian Garnier dans une note.

Numéro un des télécoms en Irlande, eir a connu une histoire tourmentée avec six changements de propriétaires depuis son introduction en Bourse en 1999. Placé sous l'équivalent d'un redressement judiciaire en 2012, l'opérateur a depuis entrepris une profonde restructuration tout en investissant massivement dans la fibre.

Le groupe, qui est numéro un dans le fixe et numéro trois dans le mobile, a dégagé un chiffre d'affaires de 1,3 milliard d'euros pour un résultat d'exploitation de 520 millions d'euros sur l'exercice clos le 30 juin 2017.

L'action d'Iliad, qui avait reculé dans la matinée, gagnait 0,6% à 200,75 euros à 16h13.

"Ce que le marché doit comprendre c'est que c'est NJJ (...) qui va réduire la dette et assumer le risque d'exécution et donner à Iliad l'opportunité de prendre le contrôle de l'entité une fois que la dette sera réduite et l'activité optimisée. Si ce n'est pas un succès, Iliad n'exercera pas son option et son investissement de 320 millions pourrait alors dégager un rendement potentiellement à deux chiffres", estiment les analystes de Berenberg.

Dans une note intitulée "une tempête dans un verre d'eau irlandais", ils soulignent par ailleurs que le montant de l'opération reste limité, soit environ 3% de la capitalisation boursière d'Iliad.

Vincent Le Stradic de Lazard a été le principal conseil sur l'opération pour NJJ et Iliad, également assisté de la Société générale.

(Avec Gilles Guillaume et Blandine Hénault, édité par Matthieu Protard)

par Gwénaëlle Barzic, Mathieu Rosemain et Conor Humphries

Valeurs citées dans l'article : Société Générale, Iliad, Lazard Ltd