Le français Ingenico est un leader mondial des systèmes de paiement. Fondé en 1980, le groupe s'est développé à grands renforts d'acquisitions successives (
sa page Wikipedia présente un historique synthétique de ce « tableau de chasse »).
Véritablement inscrite dans l’ADN du groupe, cette stratégie de croissance externe est – comme de coutume – à la fois source de risque et d'opportunité.
Les deux activités d’Ingenico sont la gestion des terminaux à carte (1,6 milliard d’euros de revenus, 10% de croissance annualisée depuis 2012) et la gestion des transactions en ligne (728 millions de revenus en 2016, 30% de croissance annualisée depuis 2012).
En quasi duopole avec l'américain
Verifone, le groupe détient plus 40% des parts de marché mondial sur l’activité de gestion des terminaux. Les barrières à l’entrée y sont élevées et la technologie exigeante, puisqu'il s’agit de diriger en simultané des millions de flux issus de plusieurs réseaux (Visa, MasterCard, PayPal, etc.) vers les systèmes bancaires nationaux.
Bien que mature, cette activité repose donc sur un avantage compétitif (« l’effet réseau ») et recèle encore un substantiel potentiel de croissance, a fortiori dans les émergents, où les gouvernements incitent citoyens et entreprises à délaisser le cash et privilégier les moyens de paiement traçables.
Cependant, les dernières acquisitions d’Ingenico visent à renforcer sa présence sur son deuxième segment d’activité : les transactions en ligne, en plus forte croissance, et sur lequel le groupe français revendique 5% des parts de marché mondial.
Les perspectives y sont prometteuses, mais la concurrence est féroce et quantité d’acteurs « disruptifs » tentent de s’y imposer – des pure players comme Stripe ou PayPal à des rivaux plus traditionnels comme le britannique Wordpay ou l’allemand Wirecard.
Les mastodontes américains de la technologie comme Apple et Google ont aussi manifesté leur intérêt, et continuent d’explorer des stratégies pour y percer.
De son côté, Ingenico se concentre en particulier sur le marché du « seamless paiement » (littéralement « paiement l'air de rien »), c’est-à-dire le paiement en ligne entièrement automatisé, à la Uber, où le client ne sort ni cash ni carte bleue pour régler le commerçant.
L'industrie est encore très largement fragmentée. Les plus petits concurrents sont des cibles d'acquisition naturelles, puisque le seul moyen d’y prospérer est d'avoir atteint une échelle suffisante pour diluer au maximum le coût de transaction unitaire, et ainsi parvenir à générer des marges.
Les petits doivent donc percer et tenir (en particulier grâce à des marchés de financement cléments), tandis que les plus gros doivent acquérir judicieusement – c’est-à-dire la bonne technologie, au bon moment et au bon prix.
Ingenico a justement
procédé à plusieurs dizaines d'acquisitions ces dernières années, dont, parmi les plus remarquables, celles du hollandais Global Collect en 2014 pour 820 millions d’euros (moins de trois fois le chiffre d'affaires), et celle du suédois Bambora en juillet 2017 pour 1,5 milliard d’euros (près de 8 fois le chiffre d'affaires).
Une vague de consolidation est d’ailleurs en cours au sommet de l’industrie :
Wordpay a été acquis par
Vantiv à près de six fois le chiffre d’affaires (après avoir été courtisé par Ingenico) ; le danois Nets a été acquis par la firme de private equity Hellman & Friedman pour environ quatre fois le chiffre d’affaires ; et selon certaines rumeurs, l’autre Français
Wordline (filiale
d’Atos) aurait jeté son dévolu sur… Ingenico, pourtant plus gros que lui.
Sa stratégie de croissance externe a pour l'instant bien réussi à Ingenico : le groupe a correctement rentabilisé ses acquisitions successives, et multiplié son chiffre d’affaires par quasiment quatre en dix ans (de 568 millions en 2007 à près de 2,5 milliards attendus en 2017).
La profitabilité s'est améliorée et le profit cash (« free cash-flow ») avant acquisitions a été multiplié par cinq entre 2007 et 2016 (de 50 millions à 240 millions d’euros).
Le bilan est de qualité raisonnable, avec 2 milliards d’actifs liquides de haute qualité (cash et créances) et 2 milliards d’immobilisations intangibles (essentiellement des écarts d’acquisitions hérités des différents rachats de sociétés) face à un passif d’environ 3,5 milliards pro forma (estimation de l’auteur en attendant la publication des résultats), dont près de 2 milliards de dette à long terme suite à l’acquisition de Bambora.
L'action cote à 92 euros à date de cette analyse. Soit, sur une base diluée de 64 millions de titres, une valorisation à hauteur de 6 milliards, ou 25 fois le profit cash de la compagnie sur le précédent exercice 2016 (un rendement sur bénéfice de seulement 4% pour le nouvel actionnaire).
Cette valorisation est plus ou moins raisonnable pour une société en forte croissance... mais risquée si d'aventure cette dite croissance peinait à se matérialiser.
Le pari est à ce titre extrêmement clair : si Ingenico intègre bien Global Collect et Bambora, puis réussit ses futures acquisitions, la valorisation du moment est justifiée, et devrait suivre la même trajectoire ascendante que ces dix dernières années.
Il faudrait pour cela que les conditions de financement restent favorables (la conjoncture actuelle est sans doute idéale) et que les acquisitions se fassent à des multiples raisonnables, à même de produire de bons rendements sur la durée. Le défi est de taille, car la concurrence à l’achat est (on l’a vu) pléthorique et ambitieuse.
Ces perspectives optimistes seraient contrariées si le groupe se faisait doubler par des concurrents mieux capitalisés, ratait un virage technologique, ou peinait à intégrer une grosse acquisition voulue « transformatrice ».
Si d’aventure un tel échec survenait, la meilleure option d’Ingenico serait de se vendre (à la Gemalto), sans doute pour un multiple de son chiffre d’affaires au moins égal à sa valorisation du moment (moins de trois fois le chiffre d’affaires).
Sous réserve d’un bouleversement majeur dans l’industrie (type abandon des cartes de paiement), le risque semble donc limité, et l’opportunité bien identifiée pour les investisseurs réellement portés sur le long-terme.
A moins qu'un acquéreur stratégique ne profite des conditions de financement exceptionnellement clémentes du moment pour faire une offre irrésistible à plus court terme...