par Anirban Nag et Jemima Kelly

LONDRES, 15 janvier (Reuters) - La décision surprise de la Suisse de lâcher sa devise a fait l'effet d'une "météorite" sur le marché des changes jeudi, selon l'expression d'un analyste, mais les systèmes informatiques ont tenu bon.

Durant 25 minutes qui furent les plus turbulentes depuis des années sur le marché, le franc suisse a bondi de plus de 40% face à l'euro avant de réduire son avance de moitié.

Des traders ont parlé d'un "carnage", dont les principales victimes ont été des fonds spéculatifs, et une petite plate-forme de négociation pour particuliers a dû brièvement suspendre ses transactions sur le franc.

La Banque nationale suisse a pris de court les marchés dans la matinée en annonçant l'abandon du plancher de 1,20 franc pour un euro qu'elle avait instauré en septembre 2011, en pleine crise de la zone euro, et que ses dirigeants présentaient il y a quelques jours encore comme un pilier de leur politique monétaire.

"C'est un coup venu de nulle part (...) qui a été très difficile à négocier pour les intervenants des marchés", admet Chris Morrison, responsable de la stratégie du hedge fund Omni Macro qui gère 550 millions de dollars.

Selon des données de la CFTC (Commodity Futures Trading Commission) américaine publiées vendredi dernier, il y avait un solde net de 24.171 positions courtes sur le franc, le montant le plus important depuis juin 2013. On y ajoutant 662 contrats d'options, on arrive à 24.833 contrats, soit 3,5 milliards de dollars, qui pariaient sur une poursuite de la faiblesse du franc suisse à la suite des dernières déclarations de responsables de la banque centrale.

"Tous les investisseurs ont été dans le même sens puis ils se retrouvent le bec dans l'eau", note Chris Morrison.

"Personne ne croyait (la BNS) capable de faire cela", renchérit Kevin Hoffmeister, chez RCO Financial à Chicago. "Communiquera-t-elle mieux la prochaine fois ? Peut-être, mais en attendant elle a pris beaucoup de monde de court."

Même Christine Lagarde, la directrice générale du Fonds monétaire international, a fait part de sa surprise, disant qu'elle n'avait pas été prévenue par le président de la BNS Thomas Jordan. "J'espère qu'il a communiqué avec des collègues d'autres banques centrales, mais je ne sais pas si cela a été le cas", a-t-elle dit sur la chaîne CNBC.

IG GROUP PERD 30 MLNS DE LIVRES

Pourtant, en dépit des craintes de panne systémique, le marché a fonctionné sans problème majeur.

La plate-forme EBS, l'une des principales utilisées par les banques et d'autres acteurs importants du marché, a maintenu des "conditions de marché normales pendant cette période d'extrême volatilité" en dépit d'une erreur qui a fait inscrire l'euro à 0,0015 franc, a fait savoir sa maison-mère Icap.

La plate-forme Forex.com, appartenant à Gain Capital, a brièvement suspendu le trading du franc en raison de son accès de volatilité. Mais d'autres plates-formes ont continué de fonctionner malgré l'assèchement des liquidités et l'élargissement des écarts entre offre et demande sur les parités euro/CHF et dollar/CHF.

Les écarts se sont stabilisés en fin de journée européennes mais de nombreux cambistes et des petites plates-formes en ont été pour leurs frais. Le broker britannique IG Group a estimé avoir perdu 30 millions de livres (39 millions d'euros) avec ces mouvements "soudains et extrêmes", et son titre a fini en baisse de 4,4% à la Bourse de Londres.

"On a vraiment eu une météorite qui s'est crashée sur le marché des changes", résume Douglas Borthwick, directeur général de Chapdelaine Foreign Exchange à New York. "Un événement comme celui-là va avoir des effets de réverbération sur tout le marché." (Avec Nishant Kumar à Londres et Sam Forgione à New York, Véronique Tison pour le service français)

Valeurs citées dans l'article : ICAP plc, IG Group Holdings plc