par Stephen Jewkes et Oleg Vukmanovic

MILAN/LONDRES, 11 mai (Reuters) - Des pirates informatiques soupçonnés d'être soutenus par la Russie ont conduit des attaques informatiques contre les réseaux électriques des pays baltes, a-t-on appris auprès de plusieurs sources, ravivant les préoccupations sécuritaires de l'Otan.

Toutes trois membres de l'Alliance atlantique, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie sont en première ligne du conflit larvé qui oppose le monde occidental à la Russie.

Les trois Etats baltes sont toujours prisonniers du réseau électrique russe près de quinze ans après leur adhésion à l'Union européenne, même s'ils ambitionnent à terme de les relier à ceux du bloc communautaire.

Policiers, enquêteurs privés et responsables des services de distribution d'énergie affirment que des pirates se sont discrètement infiltrés dans les réseaux électriques des pays baltes ces deux dernières années.

Parallèlement, des attaques plus violentes étaient menées contre le réseau ukrainien qui a souffert de plusieurs coupures.

Selon ces sources, des entités publiques russes sont soupçonnées d'être derrière ces attaques, ce que Reuters n'a pas été en mesure de vérifier de manière indépendante.

Fin 2015, des pirates se sont attaqués à la passerelle internet utilisée pour contrôler le réseau électrique des pays baltes, perturbant son activité sans pour autant provoquer de coupure, dit-on, en refusant de donner davantage de détails. On souligne en effet qu'une enquête est toujours en cours et que l'opération n'a pas été révélée au grand public.

L'attaque a pris la forme d'un "DSD" (déni de service distribué), par lequel un point d'entrée internet est submergé par de vastes flux de données.

De même source, on rapporte que des pirates soupçonnés d'être appuyés par Moscou ont parallèlement visé un système de distribution de carburant, sans toutefois parvenir à leurs fins.

DISPOSITIFS DORMANTS

Lors d'une autre attaque, également fin 2015, des pirates ont ciblé des équipements de communication reliant des sous-stations électriques au poste de commande central d'un pays dont l'identité n'a pas été révélée, dit-on encore. Cette attaque n'a provoqué aucune perturbation.

Si ces trois incidents remontent à près d'un an et demi, des spécialistes de la sécurité informatique continuent de les examiner pour vérifier si les pirates n'ont pas introduit des dispositifs "dormants" restés indétectés. A titre d'exemple, l'attaque menée contre le réseau électrique ukrainien a été détectée six mois avant que les coupures interviennent.

Des équipements de communication ont également été visés en Ukraine par Sandworm, un groupe de pirates soutenus par la Russie qui s'est déjà illustré par des attaques contre des groupes occidentaux d'énergie en 2014, ajoute-t-on.

L'implication de Sandworm a été établie dans les opérations menées dans les pays baltes, dit-on sans toutefois fournir de preuves accréditant ces soupçons. Le groupe Sandworm serait toujours actif dans la région.

"CALOMNIES"

Prié par Reuters de commenter ces accusations, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, les a rejetées, estimant qu'il s'agissait de "calomnies semblables à toutes les autres".

A l'Otan et auprès de responsables de groupes d'énergie, on dit redouter que des pirates ne soient en mesure de couper la distribution de l'énergie dans les pays baltes comme cela a été le cas en Ukraine où des combattants séparatistes pro-russes affrontent depuis 2014 l'armée gouvernementale de Kiev.

La première des attaques commises en Ukraine a provoqué des coupures d'électricité dans plusieurs endroits du pays pendant plusieurs heures.

Des experts de l'Otan et des spécialistes de la sécurité informatique croient savoir que les pirates évaluent la fragilité des réseaux électriques des pays baltes afin d'être en mesure de les couper lorsque le besoin s'en fera sentir.

"Il y a chaque jour des attaques par DSD qui servent à tester l'architecture des réseaux, il est donc possible que quelque chose (de sérieux) se produise ultérieurement", relève un responsable de l'Otan basé à Bruxelles s'exprimant sous le sceau de l'anonymat.

DES SYSTÈMES TROP SOPHISTIQUÉS ?

L'opérateur de distribution lituanien Litgrid dit que ses systèmes informatiques ont subi plusieurs attaques, mais n'a pas constaté d'attaque par DSD. L'opérateur a dit dans un communiqué exercer une surveillance constante et conduit des tests régulièrement pour éprouver l'étanchéité de ces système.

AST, opérateur du réseau letton, dit ne pas avoir enregistré d'incident l'année dernière. Son homologue estonien, Elering, affirme être resté indemne à l'époque où l'Ukraine était visée.

Selon un responsable de la sécurité basé dans la région, les attaques informatiques coïncident habituellement avec les manoeuvres militaires menées par Moscou aux frontières des Etats baltes.

L'Otan a conduit le mois dernier en Estonie des exercices de sécurité informatique lors desquels des centaines d'experts du monde entier se sont affrontés pour défendre une base aérienne fictive contre des attaques notamment imputables à un système de distribution électrique.

Dans l'évaluation 2017 des menaces auxquelles la Lituanie dit être confrontée, figure une vaste attaque par DSD menée en avril 2016 contre plusieurs ministères et institutions, l'aéroport de Vilnius, des médias et d'autres "importantes infrastructures informatiques".

"Une grande partie des attaques informatiques conduites en 2016 contre le secteur public lituanien étaient liées au renseignement russe", dit le rapport sans donner de détails.

Lietuvos Energija, le groupe public d'énergie lituanien, dit avoir essuyé plusieurs attaques dont la source n'a pas pu être identifiée. Il cite l'exemple de virus du type "jour zéro" qui exploitent des failles indétectées.

"Nous partons du principe qu'il y a des adversaires qui veulent nous causer du tort", explique Liudas Alisauskas, responsable de la sécurité informatique de Lietuvos.

Le groupe conduit régulièrement des exercices pour se tenir prêt en cas de cyberattaque, notamment en se formant au passage à une gestion manuelle du réseau, a-t-il ajouté.

Des spécialistes de la sécurité informatique soulignent d'ailleurs que lorsque le réseau ukrainien, plus ancien et moins perfectionné, a été attaqué, l'envoi sur le terrain d'électriciens capables de réactiver manuellement la distribution a permis de la rétablir sans difficulté.

Une telle méthode serait plus difficile à mettre en oeuvre sur des réseaux modernes entièrement informatisés, disent-ils. (Avec Andrius Sytas à Vilnius, David Mardiste à Tallinn et Jack Stubbs à Moscou, Nicolas Delame pour le service français, édité par Gilles Trequesser)