MALANVILLE, Bénin/NIAMEY, 24 août (Reuters) - Le poste frontière de Malanville, dans le nord du Bénin, est l'un des plus fréquentés d'Afrique de l'Ouest et voit habituellement passer des camions transportant des denrées alimentaires, de l'aide humanitaire et des matériaux industriels vers le Niger voisin, l'un des pays les plus pauvres du monde.

Aujourd'hui, ce poste frontière est à l'arrêt et une file de milliers de camions s'étend sur 25 km depuis les rives boueuses du fleuve Niger, qui marque la frontière avec le Bénin.

En raison des sanctions imposées par la Communauté des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao), après le coup d'État militaire du 26 juillet, les chauffeurs sont désormais bloqués.

Des vêtements sont suspendus entre les camions tandis que, loin des gardes-frontières, des commerçants empilent des marchandises sur des barques pour traverser le fleuve battu par les pluies.

La Cédéao cherche à faire pression sur la junte afin qu'elle rétablisse le président du Niger, Mohamed Bazoum, dans ses fonctions.

"Nous ne savons pas si nous avons été pris en otage ou quoi", commente le chauffeur routier nigérien Soulemane, bloqué à la frontière avec sa cargaison de sucre et d'huile depuis plus de 20 jours. "Il n'y a pas de nourriture, il n'y a pas d'eau, il n'y a nulle part où dormir."

De nombreux conducteurs à la frontière semblent se préparer à une longue attente. Certains ont érigé des tentes de fortune et cuisinent sur de petits réchauds à charbon, d'autres se débrouillent pour trouver de la nourriture alors qu'ils n'ont plus d'argent.

"Il faut qu'ils revoient la situation, car il n'y a pas d'autre solution", a prévenu un autre chauffeur nigérien, Mahamat Addi Saleh. "C'est par ici que tout le monde passe."

10 MILLIONS D'HABITANTS MENACÉS

Quelque 6.000 tonnes de marchandises du Programme alimentaire mondial des Nations unies (Pam) sont bloquées à l'extérieur du Niger, notamment des céréales, de l'huile de cuisson et de la nourriture pour les enfants souffrant de malnutrition, a déclaré Djaounsede Madjiangar, porte-parole régional de l'organisation.

Depuis l'annonce des sanctions, le prix du riz a augmenté de 21% et celui du sorgho de 14%, selon le Pam.

L'industrie est également mise à mal, et les fournitures médicales sont menacées de pénurie, expliquent des sources.

Les livraisons du Pam étaient destinées à atténuer la crise alimentaire qui frappait déjà le Niger, où une insurrection islamiste a contraint des centaines de milliers de personnes à fuir leur foyer.

Déjà près de 3 millions de personnes ont des difficultés à se procurer un repas par jour. La crise pourrait faire basculer 7 millions de personnes supplémentaires dans la même catégorie, estime l'agence onusienne.

"Nous pourrions nous retrouver avec 10 millions de personnes incapables de se nourrir", a mis en garde Djaounsede Madjiangar. "Les besoins humanitaires augmentent."

Le Pam et l'Unicef, l'agence des Nations unies pour l'enfance, affirment ne pas avoir encore eu l'obligation de réduire leurs opérations au Niger, mais préviennent que le temps presse. L'arrêt de leurs activités pourraient avoir des effets dévastateurs au Niger, où le taux de mortalité infantile est l'un des plus élevés au monde.

Les conteneurs de l'Unicef sont bloqués à la frontière et dans le port béninois de Cotonou. Les équipements de la chaîne du froid et les vaccins à bord risquent de perdre leur efficacité. Il s'agit notamment de doses contre l'infection mortelle à rotavirus chez les enfants, a indiqué l'agence dans des commentaires envoyés par courriel.

Entre-temps, la Cédéao et la junte sont à couteaux tirés. Le bloc africain a menacé d'intervenir militairement si les pourparlers et les autres efforts visant à faire pression sur la junte échouent.

"Ces sanctions ne sont pas conçues pour trouver une solution, mais pour nous mettre à genoux et nous humilier", a déclaré le général Abdourahamane Tiani, chef des putschistes, dans un discours prononcé samedi.

BLOCAGE DES ENTREPRISES

Les sanctions ne menacent pas seulement l'approvisionnement en nourriture et en aide du Niger. Le Nigeria a coupé son approvisionnement en électricité au Niger, ce qui compromet les soins médicaux dans les hôpitaux, a affirmé Abdourahamane Tiani.

Maxime Kader, un entrepreneur basé à Niamey, a expliqué à Reuters avoir dû arrêter de vendre des couveuses pour volailles en raison du manque de contreplaqué et de la faiblesse de l'électricité.

Les projets d'infrastructure à grande échelle ont également été touchés par les retombées de la crise. Le gel des flux financiers régionaux a interrompu la construction d'un barrage dirigé par la Chine et destiné à renforcer la sécurité alimentaire.

Les prévisions de croissance économique de 7% cette année reposent avant tout sur le lancement attendu d'un oléoduc reliant le Niger au Bénin, mais l'impact du coup d'État sur les travaux d'achèvement du projet soutenu par PetroChina n'a pas été clairement établi. PetroChina n'a pas répondu à une demande de commentaire.

Au point de passage de Malanville, des véhicules floqués WAPCO, une société travaillant sur l'oléoduc, attendent à la frontière, ont rapporté des journalistes de Reuters. Certains ont été autorisés à passer au Niger, mais d'autres restent bloqués dans la longue file d'attente. (Reportage Pulcherie Adjoha et Boureima Balima, avec la contribution d'Edward McAllister, version française Gaëlle Sheehan, édité par Kate Entringer)