Total gagne 0,5% à 36,975 euros malgré la confirmation, ce matin de la suspension de son vaste projet gazier au Mozambique après une attaque djihadiste. Le groupe pétrolier a déclaré la "force majeure", notion juridique invoquée lorsque des conditions exceptionnelles empêchent la poursuite d’un chantier et l’exécution des contrats qui y sont liés. "La force majeure est une arme juridique lourde qui permet de se protéger des pénalités financières", décrypte pour Les Echos Anne Lapierre, responsable de la pratique énergie du cabinet d'avocats Norton Rose Fulbright.

Cette décision de Total mécontente l'African Energy Chamber. Dans un communiqué, cette association d'acteurs de l'économie africaine estime que la "déclaration de force majeure aurait pu être évitée et intervient prématurément". Elle rappelle que Total a pu maintenir sa présence dans d'autres pays "touchés par le terrorisme" comme l'Irak, le Pakistan ou la Libye.

La déception des chefs d'entreprises de la région est à la hauteur de l'impact économique du projet. Total construit sur le site de Cabo Delgado une usine de gaz naturel liquéfié (GNL). Un projet à 20 milliards de dollars, dont le groupe détient 26,5%. Mozambique LNG est l'un des plus gros investissements jamais annoncés sur le continent africain, tous secteurs confondus. Le consortium aurait dû commencer ses activités d'exportation en provenance du site en 2024 (13,1 millions de tonnes de gaz par an).

Mais Cabo Delgado, dans la péninsule d'Afungi, ne se trouve qu'à quelques kilomètres de la ville de Palma à la frontière tanzanienne, cible le 24 mars d'une offensive meurtrière des Chabab (les jeunes), affiliés à l'organisation Etat islamique (EI).

A la suite de cette attaque, et de la débandade qui en avait découlé du côté des forces de sécurité, Total avait retiré l'ensemble de son personnel du projet.

Dès lors, l'activation de la "force majeure" par Total était une hypothèse évoquée par les spécialistes du secteur. 

Pour ces derniers, ce retrait pourrait être une façon de contraindre l'Etat mozambicain à lancer une intervention militaire à composante régionale, voire plus large, ce qu'il refuse jusqu'à présent pour préserver son indépendance.

Certains experts évoquent même un premier pas de Total vers un abandon du projet. En effet, les organismes de défense de l'environnement incluent le gaz liquéfié dans la liste des énergies polluantes. Par ailleurs, les énergies renouvelables se développent plus rapidement que prévu tandis que l'administration Biden est bien moins favorable au GNL que celle de Trump. En outre, des pays comme la Russie et le Qatar entendent augmenter leur production de GNL afin d'en faire baisser encore le coût, rendant moins attractif le gaz du Mozambique.

De plus, les défenseurs de l'environnement mettent régulièrement en lumière l'impact humain majeur des projets gaziers au Mozambique (déplacements des populations, violences liées à l'intérêt exacerbé des djihadistes pour cette manne,...).

Enfin, les les côtes du Mozambique sont devenues une plaque tournante de l'héroïne mondiale. Bref, ce projet Mozambique LNG est un sérieux dossier à gérer pour Total qui tient à son image tout en confortant sa place de numéro deux mondial du GNL dans les années à venir. Les limites du "en même temps"...