* Des soldats tirent sur la foule à Almaty selon Tass

* La police dit avoir tué des dizaines de personnes

* 13 membres des forces de sécurité sont morts selon la TV publique

* 2.000 personnes arrêtées

par Olzhas Auyezov

ALMATY, 6 janvier (Reuters) - De nouvelles violences ont éclaté jeudi à Almaty, la plus grande ville du Kazakhstan, où la Russie a envoyé des troupes dans la nuit, volant au secours du pouvoir dans cette ex-république soviétique restée un proche allié.

La police a reconnu avoir tué plusieurs dizaines d'émeutiers à Almaty et la télévision publique a fait état de 13 morts au moins parmi les membres des forces de sécurité, dont deux ont été retrouvés décapités. Le ministère de l'Intérieur a annoncé que 2.000 personnes avaient été arrêtées.

Après une nuit d'échauffourées entre manifestants et forces de l'ordre, une résidence présidentielle et des locaux municipaux ont été incendiés, ont constaté des journalistes de Reuters, qui ont aussi vu de nombreuses carcasses de voitures brûlées.

L'armée a repris le contrôle du principal aéroport du pays, pris un temps par les manifestants. Mais les affrontements ont repris en fin de journée sur la principale place d'Almaty, occupée alternativement depuis le lever du jour par les soldats et des centaines de civils.

Des soldats ont tiré en direction des manifestants, ont constaté des journalistes de Reuters. L'agence de presse Tass a cité des témoins selon lesquelles plusieurs personnes ont été tuées ou blessées par ces tirs.

Internet était hors service jeudi dans tout le pays et il était impossible d'établir l'ampleur des manifestations et des violences.

Reste que le mouvement est sans précédent dans l'histoire du Kazakhstan, ex-république soviétique indépendante depuis 1991 et dirigée d'une main de fer jusqu'en 2019 par Noursoultan Nazarbaïev, 81 ans et toujours influent même s'il a cédé la présidence il y a trois ans.

L'INTÉGRITÉ DE L'ÉTAT MENACÉE SELON LE PRÉSIDENT TOKAÏEV

Son successeur, Kassym-Jomart Tokaïev, a demandé mercredi l'intervention de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), qui lie la Russie, l'Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan, en dénonçant les agissements de groupes "terroristes" formés selon lui par des forces étrangères.

"Il s'agit d'une remise en cause de l'intégrité de l'Etat et, plus important encore, cela constitue une attaque contre nos citoyens qui me demandent (...) de les aider d'urgence", a-t-il déclaré.

Moscou a évoqué des consultations avec le Kazakhstan et d'autres alliés sur les moyens d'appuyer "l'opération anti-terroriste" kazakhe, en présentant les manifestations comme une tentative de saper la sécurité de son voisin inspirée par l'étranger.

Ni le Kazakhstan ni la Russie n'ont fourni des preuves d'une quelconque implication étrangère dans les émeutes.

L'OTSC a confirmé que des unités parachutistes russes se trouvaient sur le territoire kazakh et qu'elles avaient "déjà commencé à remplir les objectifs qui leur ont été assignés".

Le secrétariat général de l'organisation a ajouté que des troupes biélorusses, arméniennes, tadjikes et kirghizes étaient également concernés mais n'a pas précisé la taille du contingent engagé au Kazakhstan.

Les manifestations avaient commencé dans l'ouest du pays après l'annonce d'une augmentation au 1er janvier du prix du gaz naturel liquéfié, très utilisé comme carburant automobile au Kazakhstan. Mais le mouvement a pris de l'ampleur mercredi dans plusieurs villes et les slogans ont visé directement Nazarbaïev, dont des manifestants ont tenté en vain de déboulonner une statue.

NOUVELLE CONFIRMATION DE LA STRATÉGIE D'INTERVENTION RUSSE

Tokaïev a dans un premier temps limogé l'ensemble de son gouvernement, annulé la hausse du prix du GNL et pris ses distances avec son prédécesseur, sans parvenir à apaiser la foule, qui accuse Nazarbaïev et sa famille d'avoir amassé une fortune colossale en pillant les secteurs du pétrole et des mines alors que la majeure partie des 19 millions de Kazakhs continuent de vivre dans la pauvreté.

Nazarbaïev, qui était jusqu'à son départ en 2019 le plus ancien dirigeant de l'ère soviétique à conserver le pouvoir dans un pays issu de l'éclatement de l'URSS, n'est pas apparu en public et n'a fait aucune déclaration depuis le début des manifestations.

L'arrivée de parachutistes russes au Kazakhstan illustre une nouvelle fois la stratégie du Kremlin s'appuyant sur un déploiement militaire rapide afin de préserver son influence sur les anciennes républiques soumises à Moscou.

Depuis l'été 2020, la Russie a ainsi apporté son soutien au dirigeant russe Alexandre Loukachenko, mis fin à un conflit militaire entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan et, plus récemment, massé des troupes près de la frontière ukrainienne, moins de huit ans après avoir annexé la Crimée.

Plusieurs pays occidentaux et l'Union européenne ont exprimé leur inquiétude et lancé des appels au calme tandis que la Chine évoquait une affaire interne kazakhe.

Plus grand pays d'Asie centrale, le Kazakhstan, riche en ressources naturelles, notamment pétrolières, bénéficiait jusqu'à présent d'une réputation de stabilité qui a favorisé des centaines de milliards d'euros d'investissements étrangers.

Premier producteur mondial d'uranium, dont le cours a bondi de 8% depuis le début des manifestations; le Kazakhstan est aussi un gros producteur de pétrole.

Le premier producteur mondial d'uranium, Kazatomprom, a assuré jeudi que ses activités se poursuivaient normalement. Le groupe pétrolier français TotalEnergies, qui exploite le champ gazier de Dunga, a déclaré de son côté qu'il suivait la situation en veillant à la sécurité de ses salariés.

Plusieurs compagnies aériennes, dont l'allemande Lufthansa , ont annulé jeudi leurs vols réguliers vers Almaty.

(Reportage Mariya Gordeyeva, Pavel Mikheyev, Olzhas Auyezov et Polina Devitt; version française Marc Angrand, édité par Sophie Louet)