"L'enjeu est de savoir si la mise en examen sera étendue à la complicité de crime contre l'humanité, comme le demande Sherpa", a déclaré Marie Dosé à Reuters.

L'organisation non gouvernementale de lutte contre les crimes économiques Sherpa et le Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (ECCHR) sont à l'origine de l'ouverture à Paris d'une information judiciaire.

Huit anciens dirigeants et cadres de Lafarge, dont son ex-PDG Bruno Lafont, ont déjà été mis en examen pour financement du terrorisme et mise en danger de la vie d'autrui.

La justice enquête sur les conditions dans lesquelles le cimentier français, absorbé en 2015 par le suisse Holcim pour former le géant LafargeHolcim, a maintenu en activité son usine de Jalabiya en 2013-2014 dans une région du nord de la Syrie sous contrôle du groupe Etat islamique (EI).

Elle s'intéresse notamment aux versements effectués par Lafarge, par le biais d'intermédiaires, à des organisations armées, notamment à l'EI, pour permettre le fonctionnement de l'usine, la circulation des salariés et des marchandises.

Elle s'intéresse également à l'achat éventuel de matières premières à des intermédiaires proches de ces groupes.

Pour les deux ONG, le cimentier s'est rendu coupable de complicité de crimes contre l'humanité en maintenant sur place son activité au détriment de la sécurité de ses salariés et "en finançant l'EI à hauteur de plusieurs millions d'euros".

UNE PREMIÈRE

"La société Lafarge et ses dirigeants ne pouvaient ignorer qu'ils contribuaient ainsi aux crimes contre l'humanité commis par l'EI en Syrie (...) mais aussi dans le reste du monde", estimaient ainsi Sherpa et l'ECCHR le 15 mai dans un communiqué.

Pour ces deux ONG, l'hypothèse que ces fonds aient pu également servir à financer des attentats en Europe, dont ceux du 13 novembre 2015 à Paris et du 22 mars 2016 à Bruxelles, ne peut pas être écartée.

La mise en examen d'une multinationale comme Lafarge pour financement du terrorisme et complicité de crimes contre l'humanité serait "une grande première", souligne Marie-Laure Guislain, responsable du contentieux à Sherpa.

"Une multinationale a les moyens d'alimenter des conflits armés et aucune n'a encore été sanctionnée sur ce fondement", a-t-elle déclaré à Reuters. "Ça serait un précédent énorme."

Le service de communication de LafargeHolcim a décliné tout commentaire.

Le dossier syrien a contribué à la perte d'influence des dirigeants français de LafargeHolcim et à la reprise en main de la direction par les dirigeants issus du suisse Holcim. Le dernier épisode en date est l'annonce, la semaine dernière, de la fermeture du siège parisien du groupe.

Bruno Lafont avait dû renoncer à ses fonctions de coprésident LafargeHolcim, dont le directeur général, Eric Olsen, un des sept autres mis en examen dans ce dossier, a pour sa part démissionné en avril 2017.

Lors d'une de ses auditions, Eric Olsen a expliqué sa démission par de "fortes tensions" à propos de l'affaire syrienne entre lui et des membres du conseil d'administration.

(Emmanuel Jarry, édité par Sophie Louet)