Londres (awp/afp) - Le rouble, qui avait profité un temps des prix extrêmes des matières premières, se retrouve au plus bas face au dollar depuis mars 2022, miné par le tarissement des recettes d'hydrocarbures et une fuite de capitaux hors de Russie.

Lundi, la devise est tombée à 102,23 roubles pour un dollar, et presque 111,70 roubles pour un euro, des niveaux plus vus depuis mars 2022, dans les premières semaines de l'invasion russe de l'Ukraine.

Si la Banque centrale russe (BCR) a tenté de voler au secours de sa monnaie mardi en relevant son taux directeur de 8,5% à 12% après une réunion d'urgence, le rouble n'a pas encore récupéré de cet accès de faiblesse.

Mardi, il est simplement repassé sous le seuil des 100 roubles pour un dollar franchi la veille.

Pour faire face à la dégradation de la situation, l'institution avait déjà annoncé la semaine dernière la suspension, jusqu'à la fin de l'année, de ses achats de devises étrangères sur le marché national des changes.

Le taux de change du rouble face au dollar "n'est pas un taux de change flottant conventionnel", autorisé à fluctuer en d'autres termes, car il est étroitement contrôlé par les autorités russes, rappelle Tatha Ghose, analyste chez Commerzbank.

"Lorsque la composante flux de capitaux est absente des moteurs d'un taux de change, les hausses de taux (que la BCR met actuellement en oeuvre) n'auront pas leur effet de soutien habituel", poursuit-il, expliquant que seules les données commerciales comptent.

Or "la balance commerciale se contracte régulièrement à mesure que la manne des prix élevés des matières premières (...) s'estompe", souligne Tatha Ghose.

"Rappelons que l'excédent de la balance courante de la Russie s'est réduit de 85% entre janvier et juillet", souligne John Plassard, de Mirabaud.

Conséquence: la devise russe a dévissé d'environ 37% sur les 12 derniers mois.

Manne financière des matières premières

La retombée des prix des matières premières constitue le principal facteur de baisse des recettes d'exportations du pays.

Dans les premières semaines de l'invasion russe en Ukraine, le rouble s'était effondré "avant de se redresser fortement sous le double effet d'une politique de soutien du change (frein aux sorties de capitaux, hausse des taux d'intérêt pour inciter aux achats de rouble par exemple) et de l'envolée du prix des matières premières", explique Sylvain Bersinger, analyste chez Asterès.

Début mars 2022, le gaz européen a culminé à son prix record, et les deux références mondiales du brut évoluaient largement au-dessus des 100 dollars le baril, propulsés par les risques géopolitiques.

L'essentiel du pétrole se négocie en dollars sur le marché mondial. La Russie récupère donc d'importantes sommes en billets verts provenant de la vente de son or noir, qu'elle convertit ensuite en roubles, ce qui soutient sa monnaie.

Moscou a d'ailleurs engrangé une somme colossale de plus de 400 milliards d'euros depuis le début de la guerre en Ukraine grâce à ses exportations de pétrole, de gaz et de charbon, dont 270 milliards rien que pour le pétrole, d'après le Centre for Research on Energy and Clean Air (CREA), un institut de recherche basé en Finlande.

Le niveau de prix extrême des matières premières compensait ainsi les salves de sanctions occidentales prises contre l'économie russe.

Mais depuis mi-2022, le rouble ne cesse de se déprécier.

La rébellion avortée du groupe paramilitaire Wagner fin juin "a vraisemblablement conduit à une fuite des capitaux", "les craintes d'instabilité politique (poussant) des Russes à placer à l'étranger leurs capitaux, en dépit des obstacles administratifs", relève Sylvain Bersinger.

"La baisse des revenus des exportations de pétrole" cumulée à "la fuite des capitaux (et) la baisse de la demande des principaux partenaires d'exportation tels que la Chine et l'Inde" constituent ainsi une "menace importante pour les perspectives économiques de la Russie et donc sa devise", insiste John Plassard.

Les cargaisons d'Oural, la variété de référence du pétrole russe s'échangeant désormais au-dessus du plafond des 60 dollars le baril imposé par les Occidentaux dans le cadre de leurs sanctions, l'intérêt de certains acheteurs clefs comme l'Inde pourrait être freiné.

L'affaiblissement du rouble permet toutefois au Kremlin de renflouer ses caisses, car pour chaque dollar ou euro acquis actuellement, le gouvernement dispose de facto de plus de roubles pour couvrir ses dépenses colossales liées à la guerre.

afp/rq