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(Easybourse.com) Comment expliquez-vous le développement de la thématique ISR (investissement socialement responsable) ?
L'essor de l'ISR est le signe d'un double mouvement, l'intégration des critères ESG dans la gestion classique, dite mainstream, avec des offres qui se multiplient, et une demande sensiblement accrue de la part des clients, en particulier des investisseurs institutionnels.

Pour certains, l'ISR est un phénomène de mode qui a vocation à passer ?
Je pense davantage qu'il s'agit d'une tendance de fond. En témoigne les pressions syndicales qui s'exercent dans le cadre de l'épargne salariale.

La philosophie de l'ISR réside dans le changement de pratiques des entreprises qui doivent faire face à un certain nombre de défis environnementaux et sociaux. L'ISR est la réponse des marchés financiers pour encourager la prise en charge de ces différents défis.

Mais les principes posés, si l'on se réfère au Pacte mondial de l'ONU, sont des principes non contraignants, n'est-ce pas ?
C'est une forme d'autorégulation des marchés. L'ISR ne représente actuellement que 5% des actifs sous gestion sur l'ensemble des marchés européens. La part de marché est donc modeste, mais en très forte progression depuis plus de 5 ans.

A mon sens cette autorégulation a montré ses limites récemment, notamment avec la crise des subprimes. Nous aurions besoin d'une régulation plus forte en matière d'ISR, mais plus globalement sur l'ensemble des instruments financiers.

Le logo «Transparence» que l'Eurosif vient de lancer est une des manifestations de cette volonté  d'auto-régulation. Des discussions sont en cours à ce sujet entre le Forum pour l'investissement responsable et l'Association française de gestion pour discuter des modalités de son éventuel déploiement en France.

Où en est la mise en place de ce logo ?
Il y a eu au sein de l'Eurosif des divergences sur la nécessité de lancer un tel logo, l'idée étant qu'il y a aujourd'hui une profusion de labels sur le développement durable.

Ce logo de transparence doit être mis en œuvre avec prudence. Il devrait, le cas échéant, pouvoir s'appliquer à des fonds classiques de type OPCVM ou à des hedge funds.

L'objectif de ce logo est de montrer pour les fonds ISR qui auraient le droit d'en bénéficier qu'ils respectent les principes directeurs de transparence définis par l'Eurosif et transposés en France dans le code de transparence AFG-Forum pour l'investissement responsable.

Quelles seraient les modalités d'application d'un tel logo ?
Les avis sont partagés à ce sujet. Une des conditions de succès d'un tel logo de transparence est que la méthode d'éligibilité des fonds soit rigoureusement identique dans l'ensemble des pays européens.

Cela pose des problèmes assez complexes. Si le logo de transparence repose sur un certain nombre de critères, il y a lieu de déterminer à combien de critères le fonds doit répondre pour pouvoir bénéficier dudit logo.

Je ne souhaite pas aboutir à la situation du référentiel HQE dans le bâtiment, où sur les quatorze cibles édictées par le label, l'opérateur doit en satisfaire trois pour se voir octroyer le label.

Quelles sont les perspectives ?
Nous espérons parvenir à un accord d'ici à la fin de l'année. Cela demandera beaucoup d'énergie et de temps.

A ce jour, tous les pays européens membres de l'Eurosif ont annoncé le lancement de ce logo de transparence, excepté la France en raison justement de ce problème de critériologie et de méthode d'éligibilité.

Que pensez-vous de la mise en place d'un label ISR stricto sensu ?
Encore aujourd'hui, je ne suis pas favorable à un tel label, les définitions de l'ISR étant diverses et multiples.

La sélection des valeurs par les fonds peut se fonder dans certains cas sur des critères extra financiers, dans d'autres strictement sur une politique d'engagement sur le développement durable auprès des entreprises dans lesquels l'investissement est effectué.

Comment reconnaître un fonds qui serait véritablement ISR d'un fonds qui n'aurait d'ISR que le nom ?
Les titres dans lesquels ces différents fonds sont investis sont globalement les mêmes.
Ce qui est fondamental, c'est l'information sur la politique développement durable des participations communiquée au client.

Principe d'exclusion contre principe de best in class, que choisissez-vous ? Pourquoi ?
Le mouvement représenté par le Forum pour l'investissement responsable et par l'Eurosif est celui du best in class. L'idée est de ne pas exclure de sociétés du portefeuille ISR.

Nous souhaitons agir par le biais de l'ISR sur les pratiques de l'ensemble des entreprises.
L'exclusion d'emblée de certaines sociétés contrevient à toute démarche de progrès.

Cette exclusion doit être conçue comme la sanction ultime d'une entreprise, quel que soit son secteur d'activité, qui n'aurait pas répondu aux sollicitations des investisseurs ISR.

De quelle manière percevez-vous la corrélation entre ISR et performance des fonds ?
A ce jour, il y a autant d'analyses qui indiquent que les fonds ISR surperforment ou sous-performent les fonds classiques.

On remarque dans les track records que la performance est à ce jour grosso modo équivalente.

Ceci étant, quand bien même la performance serait égale ou légèrement moindre, il y a lieu de considérer  que les gains qui résident dans l'amélioration des pratiques socialement responsables des entreprises sont bien évidemment un «plus».

En ce sens, l'argument de la (sous-)performance me semble être un mauvais argument.

Quid du lien ISR et avantage compétitif d'une société ?
L'ISR peut être dans certains cas, un outil de marketing pour certaines sociétés qui ne se sont pas encore véritablement saisies des enjeux sous-jacents à leur secteur.

Mais très sincèrement, je pense que la démarche est sérieusement intégrée par la plupart des entreprises.

La mairie de Paris est en train de revoir l'ensemble de son portefeuille de ses catégories d'achat pour inclure des critères environnementaux et sociaux.

De ce fait, si une société veut avoir une chance de répondre à un appel d'offres, il faut qu'elle satisfasse un minimum de ces critères.

Au-delà du permis technique d'exploiter dans un environnement à risque, il y a maintenant le permis social d'exploiter. C'est un fait acquis ! Les règles du jeu sont réellement en train de changer.

La place de Paris, place de l'ISR. Qu'en pensez-vous ?
C'est une très bonne idée. J'ai moi-même fait partie de la commission ISR de Paris Europlace.

Il est important qu'il y ait une place alternative porteuse d'un mouvement ISR qui ne serait pas le mouvement à dominante anglo-saxonne.

La France a su prendre des initiatives originales et fédératrices dans le domaine de l'ISR : s'agissant du Fonds de réserve pour les retraites, le code de transparence AFG-FIR, le Forum annuel sur l'investissement responsable en Europe, évènement unique dont nous venons de tenir la 6ème édition…

Qu'est ce que l'ISR anglo-saxon ? 
C'est un ISR qui met l'accent sur la gouvernance. Il n'y pas vraiment de critères pour définir le périmètre ISR. On est plus dans l'engagement, dans le dialogue managérial sur des problématiques de développement durable.

C'est ainsi que les thématiques mises en avant par la plateforme d'engagement des PRI (Principles for Responsable Investment, portés par l'UNEP-FI) portent principalement sur la gouvernance.

Cela ne correspond pas à la pratique continentale européenne, notamment pour des raisons historiques et culturelles. Ainsi, les fonds de pension néerlandais (ABP, PGGM) sont relativement avancés dans leur politique des droits de l'homme, les droits sociaux.

Il s'est organisé la semaine dernière le Forum annuel pour l'investissement responsable en Europe (Faire). Parmi les thématiques abordées, nous citerons, les indices ISR, l'engagement actionnarial,  les places offshores, le reporting ESG…
De quelles manières ont été déterminées ces thématiques ?

Elles sont définies par ceux qui co-organisent les tables rondes, les asset managers et les brokers. Nous avons cherché à mettre en évidence les thématiques les plus prégnantes et les plus actuelles dans le domaine de l'ISR.

Concernant le reporting ESG, il y n'y a pas d'accord sur les critères à considérer. Ne peut-on pas prôner pour une grille de lecture commune ? En outre, les investisseurs se plaignent du manque d'informations disponibles de la part de certaines entreprises pour fonder leur décision d'investissement ?
Il a fallu plus de 150 ans pour que le reporting financier se mette en place. La mise en place des normes IFRS ne s'est pas faite simplement, et n'est pas terminée.

On peut légitimement penser que le reporting extra financier ne s'établira pas du jour au lendemain, d'autant que les sujets sont compliqués.

Il y a besoin de déterminer les bons indicateurs de performance qui soient également de bons outils d'évaluation pour les investisseurs.

Comment donner la représentation d'une performance environnementale dans le cas de la mesure d'un impact de bruit par exemple. Que prendre en compte entre le bruit réel et le bruit perçu ? Dans le cas des émissions de gaz à effet de serre, de quelle manière appréhender l'émission des autres particules ? 
La plupart des agences de notation estiment qu'avoir une démarche qualité en matière de développement durable, équivaut à une bonne performance en matière de développement durable. C'est n'est pas si simple.

Le fait d'avoir un équilibre hommes-femmes au sein d'une société ne signifie pas grand-chose. C'est un résultat qui dépend de considérations historiques, culturelles, éducatives.
Qu'est-il des pratiques discriminatoires dans le processus de recrutement et de promotion interne ? Voilà la vraie question.

La détermination des indicateurs ne peut être que sectorielle, ce qui suppose un travail en collaboration avec les fédérations professionnelles.

Par ailleurs, les réflexions doivent se faire au niveau supranational. Pour l'heure, une amorce de discussions est née au sein du Medef et du Forum pour l'investissement responsable, mais rien encore n'a été fait au sein de l'Eurosif.

Le référentiel GRI (Global reporting initiative) est une très bonne chose, mais il faut aller au-delà.

Etes-vous optimistes concernant les perspectives de l'ISR ?
Le scepticisme qui a pu m'habiter en 1999 a depuis basculé dans l'autre sens. Nous faisons face à de véritables transformations sociales dont on n'a pas encore pris la mesure.
Des choses ne sont plus admissibles, des salariés d'un groupe qui font l'objet d'une dizaine de plans de restructuration sociale par exemple.

Un nouveau mode de développement est recherché. Il y a un travail important de pédagogie à réaliser. Des prises de positions aussi ciblées et soutenues que celles de Tony Blair dans le domaine du réchauffement climatique méritent d'être multipliées. Le Grenelle de l'environnement est en cela un point de départ.

Les changements ne se feront pas aisément, sans douleur et sans tensions.

Au-delà de la transparence et du reporting, un autre sujet important concerne les droits de l'homme ?
Le Forum pour l'investissement responsable  a été saisi par Réseau éducation sans frontières (RESF), un collectif d'associations qui luttent contre l'expulsion des enfants scolarisés, majeurs ou mineurs, au sujet des contrats mis en place entre le ministère de l'intérieur et Air France.

Etait contestée non pas l'existence même de ces contrats, mais la façon dont ils étaient mis en œuvre au regard de la convention européenne des droits de l'homme, de  la convention internationale des droits de l'homme, et de la convention internationale des droits de l'enfant.

Etaient mis en avant les violences exercées au moment des expulsions, le fait que des femmes enceintes étaient expulsées…

Nous avons écouté les représentants de RESF et certains administrateurs syndicaux d'Air France.
 
Les enjeux étaient alors doubles, des phénomènes de stress sur l'équipage et de sécurité du vol, un phénomène plus financier, en ce sens qu'il semblerait que les parts de marché d'Air France vers les pays d'Afrique et du Maghreb se réduisent au profit d'opérateurs nationaux. Le danger réside dans la diminution de la valorisation du titre Air France.

Ainsi en a-t-il été de Nike, il y a quelques années en raison du travail forcé des enfants. L'action du groupe avait perdu une part prépondérante de sa valeur. Il a fallu cinq ans pour revenir au même niveau de valorisation.

La question des droits de l'homme se pose également pour toutes les entreprises qui interviennent en Chine. La communication par Yahoo des coordonnées de l'un de ses internautes dans le cadre d'une décision de justice ne pose pas de problème en soit, il s'agit alors pour la société d'obéir aux lois d'un pays. Cependant, qu'en est-il si les lois de ce pays ne respectent pas des conventions internationales ?

Y a-t-il une autre problématique que vous souhaiteriez soulever et qui vous semble importante concernant l'ISR ?
La moralisation des marchés financiers.

Il ne suffit pas de pointer du doigt les entreprises, il faut également regarder ses propres pratiques.

La crise des subprimes est un exemple de pratique socialement irresponsable. La responsabilité est collective, elle concerne l'ensemble des acteurs de la chaîne. Elle n'incombe pas uniquement aux agences de notation.

De même la spéculation sur le marché des matières premières et des produits alimentaires peut recouvrir un aspect indécent lorsqu'elle est pratiquée à son extrême.

Propos recueillis par Imen Hazgui

- 20 Juin 2008 - Copyright © 2006 www.easybourse.com

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