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(Easybourse.com) Pour quelles raisons avez-vous décidé d'investir dans l'investissement socialement responsable ?
Nous sommes un des pionniers de l'ISR sur le marché français. Le premier fonds a été lancé en 2002. Cet investissement s'explique naturellement par notre filiation à une compagnie d'assurances. Pour évaluer le risque entreprise, nous avons décidé de prendre en compte des considérations autres que financières. 

Au-delà du fonds  AGF Valeurs Durables qui est généraliste, nous avons étendu la gamme avec des plus petits fonds ayant des thématiques environnementale (fonds Eureco), sociale (AGF Aequitas qui met l'accent sur l'actionnariat salarié et le gouvernement d'entreprise).

Nous avons depuis un an décidé d'inclure l'approche ISR dans notre gestion de taux. Nous avons créé en cela un fonds ISR qui se compose d'obligations de crédit et d'obligations souveraines.

Nous travaillons actuellement sur le monétaire.

Vous avez décidé, à l'inverse de certains de vos concurrents de ne pas faire appel uniquement à une agence de notation externe pour procéder à l'évaluation extra financière des entreprises qui composent votre univers d'investissement. Pourquoi ?
Les agences ont des méthodologies très différentes et ont été très instables dans le temps en raison des multiples fusions. Cela nous semblait réducteur et risqué de reposer uniquement sur cette source d'information même si elle recouvre une pertinence certaine.

Notre modèle est basé avant tout sur notre recherche interne et notre capacité à évaluer nous-mêmes l'aspect extra financier des entreprises. Cela suppose la mobilisation de sources d'information diverses dans la presse, dans les analyses réalisées par nos intermédiaires courtiers, dans les notes publiées par les agences de notation spécialisées comme Vigeo, Innovest.

Cela nous donne une base d'appréciation pour l'univers dans son ensemble (zone Euro, MSCI EMU) qui représente environ 300 valeurs.

Nous effectuons par la suite une recherche complémentaire en interne et nous prenons contact avec les entreprises, les parties prenantes (syndicats, O.N.G.) s'agissant des valeurs qui sont en portefeuille.
Notre approche est alors très fondamentale. L'évaluation des entreprises est faite au regard de leurs qualités intrinsèques.

En quoi consiste votre processus d'investissement ?
Nous faisons de la sélection positive, nous nous efforçons de choisir les entreprises qui se positionnent mieux que leurs concurrents. Nous ne sommes pas dans une approche d'exclusion face à certains secteurs d'activité. Ce n'est pas un fonds éthique.

Nous avons souhaité par ailleurs nous différencier en adoptant une démarche de « best effort ».
Nous nous intéressons aux pratiques les plus remarquables dans un secteur d'activité et nous nous efforçons d'identifier des dynamiques de progrès en matière de positionnement extra financier.

À partir d'un minimum de notation requis, nous essayons de déterminer les futurs best in class. Nous essayons alors de capter la performance qui pourrait être générée du passage d'un statut de best effort au best in class.

C'est un travail d'accompagnement de longue haleine. Nous déterminons un secteur d'activité qui nous semble intéressant, un modèle économique attractif. Nous rencontrons l'entreprise à plusieurs reprises.
Nous constatons les engagements pris par la société dans tous les domaines liés au développement durable, nous vérifions la mise en application de ces engagements et les résultats obtenus concrètement.
Dès lors que ces éléments sont entrés dans la stratégie de l'entreprise, nous estimons que la dynamique est enclenchée.

L'approche est différenciée suivant les secteurs. Dans une entreprise minière, nous allons mettre l'accent sur les politiques de réhabilitation, les rejets polluants…

Pouvez-vous nous donner un exemple de société qui s'inscrirait dans cette configuration ?
Citons l'exemple d'Imerys, une entreprise leader de l'exploitation de certains minéraux. Nous avons commencé par définir les enjeux importants dans leur domaine d'activité, et avons analysé la manière dont la société allait adresser ces enjeux.
Un des enjeux intéressait les sites miniers à ciel ouvert qui pour la plupart étaient situés dans des pays où la réglementation n'était pas très contraignante.
Les équipes d'Imerys ont réalisé une trentaine d'audits de tous ces sites, et ont établis 25  standards qui vont bien au-delà des réglementations en vigueur.

Nous avons également interrogé la société sur d'autres aspects comme la chaîne de fournisseurs,
Nous avons jugé que progressivement l'entreprise avait intégré l'univers investissable en terme d'ISR.

Quelle est la composition de votre fonds généraliste ? 
L'univers d'investissement est à peu près celui de l'indice MCSI EMU, environ 330 valeurs. Compte tenu de notre méthodologie ISR cet univers d'investissement est réduit de moitié. Le fonds actuellement a 66 valeurs en portefeuille pour 1.3 milliard d'euros d'actifs (contre 12 millions d'euros à son lancement en 2002). Il présente ainsi une certaine concentration. C'est le plus grand fonds ISR de droit français à Paris.

Quelle a été la résistance de vos fonds ISR face aux turbulences sur les marchés financiers ?
Plusieurs articles ont mis en avant le fait que l'ISR n'avait pas joué son rôle d'amortisseur. Le fonds Valeurs durables depuis le début de l'année s'est comporté à peu près comme le marché.
À fin mai la performance sur cinq ans était légèrement au-dessus de l'indice.

Il n'existe pas de véritable démonstration mathématique qui indiquerait que l'ISR générerait de la surperformance. Les travaux effectués ont peu d'historique sur la matière. Des études sont parues aux États-Unis mais l'approche retenue par les fonds est l'approche d'exclusion.

En ce qui nous concerne, nous avons une réelle conviction que les aspects extra financiers de la stratégie d'une entreprise sur longue période participent nécessairement à la valeur créée au sein de l'entreprise.
Le développement durable est à certains égards un réel enjeu stratégique pour de nombreuses sociétés. Une entreprise qui ne traiterait pas la question des ressources énergétiques verra à terme sa valeur impactée d'une manière ou d'une autre.

Nous essayons dans nos reportings de faire un historique des données pour faire une attribution de performance suivant les critères ISR des titres choisis dans le portefeuille. Sur 2007, nous avons un effet d'allocations très positif du fait de l'investissement dans des titres considérés comme ISR.
Mais il est difficile d'en tirer des conclusions définitives.

Quel regard portez-vous sur la problématique de transparence des fonds ISR ?
En ce qui concerne la transparence du processus de gestion, du mode de sélection, et de la méthodologie utilisée, il existe actuellement la notation Novethic.
Nous avons la meilleure note AAA. Nous faisons beaucoup d'efforts de communication auprès des clients. Ces derniers voient d'un bon oeil le fait que nous identifions des facteurs ISR dans l'attribution de la performance.

De quelle manière appréhendez-vous les difficultés d'information de la part des entreprises dans le cadre de vos évaluations?
Cela va nettement mieux que lorsque le fonds a été lancé. Le marché s'est quelque peu structuré. Les progrès réalisés en cinq ans ont été colossaux
La fusion des agences de notation a été bénéfique. Ces dernières se sont bien professionnalisées, et ont été aiguillonnées par l'intérêt grandissant des courtiers classiques pour ce marché.
La formation d'équipes dédiées à l'ISR chez les brokers a été un catalyseur. Les flux d'informations ont été alimentés en termes quantitatifs et qualitatifs.

Du côté des entreprises, la loi NRE a su imposer des obligations en matière de publication de données.
Le fait que des fonds ISR commencent à avoir des encours de taille respectable et que des investisseurs importants comme le FRR s'intéresse de plus en plus à l'ISR, a amené les entreprises à prendre conscience de l'importance de la délivrance de ces informations.

Ce qui se passe dans les petites entreprises récemment introduites en bourse est flagrant. Lorsque nous les interrogeons aujourd'hui sur un certain nombre de questions importantes, nous avons des retours concrets et précis.

Conformément aux PRI dont nous sommes signataires, nous encourageons ainsi les entreprises quelles qu'elles soient à améliorer leur reporting en faisant explicitement référence aux critères ESG.

Comment voyez-vous la multiplication des fonds ISR. Quelles sont les perspectives de ce marché ?
La multiplication des fonds ISR est quelque chose de très positif puisque cela participe à la diffusion des enjeux de développement durable. Il y a un effet d'entraînement.

Le fait que des organismes comme Novethic fasse des évaluations est une bonne chose. Nous sommes favorables à davantage de contraintes en termes de transparence de la part des gestionnaires d'actifs.

Nous parlons d'un marché très récent, qui se structure. C'est une thématique davantage qualitative que quantitative.
Il peut y avoir du marketing de la part de certains acteurs. Néanmoins nous pensons sincèrement qu'il y a une véritable prise de conscience.

Dans un monde idéal, à terme, les données extra financières devraient s'intégrer automatiquement dans les analyses financières classiques. Tous les fonds seront alors ISR. Il n'y aurait plus véritablement de marché ISR spécifique.

A ce jour, au sein des brokers, les analystes sortent des études financières en intégrant de plus en plus les aspects extra financiers.

Paris, place de l'ISR, qu'en pensez vous ?
Nous avons en France une approche très différente de l'approche anglo-saxonne qui s'est développée sur l'éthique. Nous attachons davantage d'importance aux critères sociaux par rapport notamment à l'Angleterre focalisée sur l'environnement.

Le rôle des investisseurs institutionnels dans le développement, la structuration et la professionnalisation de ce marché a été déterminant, et un énorme potentiel se trouve aujourd'hui chez les particuliers.

Propos recueillis par Imen Hazgui

- 23 Juin 2008 - Copyright © 2006 www.easybourse.com

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