Le procureur Nicolas Baietto a aussi requis à l'encontre de Stéphane Richard, qui était directeur de cabinet de la ministre de l'Economie et des Finances Christine Lagarde à l'époque de l'arbitrage, 100.000 euros d'amende et l'interdiction d'exercer toute fonction publique pendant cinq ans.

Bernard Tapie, 76 ans, souffre d'un cancer et sa peine ne serait sans doute jamais mise à exécution, a admis le procureur, qui s'est montré particulièrement sévère pour les anciens hauts fonctionnaires que sont le PDG d'Orange et l'ex-président du consortium de réalisation (CDR) chargé de gérer le passif du Crédit Lyonnais Jean-François Rocchi, lui aussi prévenu.

Nicolas Baietto a requis contre ce dernier la même peine de prison et d'interdiction de fonction publique que pour Stéphane Richard, assortie de 50.000 euros d'amende.

Bernard Tapie, qui dit avoir été floué par le Crédit Lyonnais lors de la vente du fabricant d'équipements de sports Adidas en 1993, s'est vu accorder 15 ans plus tard, après de multiples péripéties judiciaires, 403 millions d'euros dont 45 millions pour préjudice moral.

Mais l'ex-homme d'affaires, qui se présente désormais comme exerçant la profession d'acteur, et son avocat Maurice Lantourne sont accusés d'avoir obtenu frauduleusement cet arbitrage, en collusion avec un des trois arbitres, Pierre Estoup, 92 ans.

LE COFFRE FORT DES FONDS PUBLICS

"Il fallait un alignement des planètes, l'élection de Nicolas Sarkozy (à la présidence de la République en mai 2007)", a souligné le second procureur, Christophe Perruaux. "L'appareil de l'Etat était tombé entre des mains amies, il allait être plus facile à circonvenir."

Un Nicolas Sarkozy qui s'est "dérobé pour des motifs fallacieux" à plusieurs convocations des juges d'instruction chargés de l'affaire, a rappelé Nicolas Baietto.

Bernard Tapie, qui nie toute malversation, comme Maurice Lantourne et Pierre Estoup, a été définitivement condamné à rembourser les 403 millions d'euros au CDR et donc à l'Etat, dans le volet civil de cette affaire.

Les trois hommes sont jugés au pénal depuis le 11 mars pour escroquerie et détournement de fonds publics ou complicité.

A leurs côtés, Stéphane Richard et Jean-François Rocchi sont accusés d'avoir "agi délibérément et de manière systématique et clandestine dans le sens des intérêts" de Bernard Tapie.

Ce que Nicolas Baietto a résumé en comparant les fonds publics à un coffre fort: "Bernard Tapie, avec la complicité de son avocat et du faux arbitre va faire ouvrir le coffre fort, grâce à la négligence de Mme Lagarde et à la complicité de MM. Richard et Rocchi, qui détenaient la combinaison."

Le ministère public a requis trois ans de prison avec sursis à l'encontre de Maurice Lantourne et trois ans de prison ferme contre Pierre Estoup, qui n'est venu que le premier jour et a été absent le reste du procès, pour raisons médicales.

Pierre Baietto a qualifié d'"imposture incarnée" cet ancien premier président de la cour d'appel de Versailles, habitué des procédures d'arbitrage, et l'a accusé d'avoir "trahi ses devoirs" de magistrat "pour son profit personnel".

Il a en revanche demandé la relaxe pour, l'ancien président de l'établissement public de financement et de restructuration (EPFR), autre structure chargée du passif du Crédit Lyonnais, Bernard Scemama, estimant que sa culpabilité ne pouvait être retenue en l'absence d'"élément intentionnel" probant.

"TRÈS MAUVAIS JOUEUR"

Seul des trois arbitres à avoir pu être interrogé, comme témoin, l'ancien président du Conseil constitutionnel Pierre Mazeaud a assuré le 26 mars que la décision en faveur de Bernard Tapie avait été rendue "en toute impartialité" et estimé que le Crédit Lyonnais s'était "très mal conduit" envers lui.

Mais pour les deux procureurs comme pour les représentants de l'Etat, Bernard Tapie, en liquidation judiciaire personnelle depuis 1994, n'a en rien été spolié.

"Il n'a jamais accepté d'être resté à quai après cette mésaventure Adidas, alors que les autres, les Pinault, les Arnault, les Bolloré, ont fait fortune", a dit Nicolas Baietto. "Bernard Tapie a échoué et c'est un très mauvais joueur."

L'ancien homme d'affaires risque de perdre ce qui lui reste de patrimoine, le procureur ayant aussi requis la confiscation de l'ensemble de ses biens, sommes et créances saisies.

A Stéphane Richard, il a notamment reproché de ne pas avoir loyalement informé Christine Lagarde, de lui avoir "désobéi" pour trouver avec Bernard Tapie un arrangement excluant le Crédit Lyonnais de l'arbitrage, qui plus est en utilisant sa signature, et écarté les avis défavorables à ce compromis.

Autant d'accusations que le PDG d'Orange s'était employé à réfuter pendant le procès, affirmant avoir seulement fait son travail de directeur de cabinet et joué un rôle secondaire dans une décision qui avait selon lui le soutien du pouvoir exécutif.

Un argument balayé par Nicolas Baietto : "Qui peut croire que le directeur de cabinet d'un ministre n'a aucun pouvoir ?"

De son côté, l'Etat, partie civile, a demandé que les prévenus remboursent solidairement les 403 millions d'euros avec les intérêts et frais divers, soit 525 millions au total, et lui payent un million d'euros de préjudice d'image.

(Emmanuel Jarry, édité par Yves Clarisse et Arthur Connan)

par Emmanuel Jarry