L'absence de marché de l'occasion se confirme donc pour le très gros porteur, qui reste en fâcheuse posture sur le neuf. En mars, Airbus a confirmé qu'il réduira à six appareils par an sa cadence de production à partir de 2020, après avoir reçu une commande salvatrice d'Emirates, qui s'est engagé sur 20 nouveaux A380, plus 16 options. Si l'on se penche sur le carnet de commandes au 30 avril dernier, il apparaît que l'industriel n'a plus que 105 appareils à livrer sur les 331 signés. Sur ce total, la moitié (162 appareils) a été commandée par Emirates, qui en opère déjà 103.

Singapore Airlines, le second plus important utilisateur du très gros porteur, fait actuellement voler 20 appareils. Mais la restitution de ses deux premiers A380 à l'issue de leur période de leasing de dix ans est venue confirmer ce qui avait déjà été annoncé : la compagnie de Singapour ne s'engagera pas sur d'autres A380.

Un carnet sans doute moins rempli que prévu

Pire, les bons connaisseurs du secteur savent pertinemment que certains transporteurs n'honoreront pas leurs engagements et préféreront négocier avec Airbus une réorientation des commandes sur d'autres appareils. Le carnet de commandes réel de l'A380 est par conséquent probablement plus réduit que dans la réalité, ce qui explique la réduction drastique des cadences dès 2020 (contre 30 appareils au pic). En ajustant les livraisons, Airbus espère aussi tenir jusqu'à un hypothétique décollage du transport de masse en Inde ou plus probablement en Chine, où Airbus a échoué jusqu'ici à convaincre les décideurs que l'avion pourrait devenir une navette idéale, remplie à ras bord, pour les liaisons intérieures.

Le quadriréacteur n'a plus la cote

En effet, les compagnies renâclent à s'équiper de l'appareil, un quadriréacteur qui souffre de coûts d'exploitation plus élevés que les biréacteurs de dernière génération et qui nécessitent une maintenance plus onéreuse. Faute d'un engouement suffisant de la part de la clientèle, Airbus n'a pas lancé le développement d'un A380neo, malgré la pression d'Emirates. Il s'est contenté d'apporter quelques améliorations à l'existant en proposant l'A380plus, dont les coûts d'exploitation ont été réduits par l'amélioration de l'aérodynamisme, l'accroissement de la capacité d'emport et l'optimisation de la maintenance. Insuffisant pour bon nombre de transporteurs, dont la flotte n'est pas suffisamment importante pour profiter des économies d'échelle dont bénéficie la compagnie de Dubaï avec sa centaine d'appareils.
 

L'A380plus à gauche et les spécifications de l'A380 actuel (Source : copie d'écran Airbus ; cliquer pour agrandir)

Après le B787 Dreamliner, le B777X Fossoyeur ?

En mars dernier, Douglas Harned, qui suit le dossier chez Sanford Bernstein, faisait part de son scepticisme quant à un retour en grâce du programme. "Cela paraît très compliqué sans un nouveau moteur", expliquait alors l'analyste, en rappelant que les moteurs de l'A380 sont vieux de deux générations par rapport aux GE9X qui équiperont le B777X, dont le premier exemplaire doit être livré fin 2019 ou début 2020. Capable d'emporter jusqu'à 425 passagers en version biclasse, le futur navire-amiral de Boeing est moins cher à l'achat (425,8 millions de dollars pour le 777-9, 445,6 millions de dollars pour l'A380), plus flexible et s'annonce plus économe à l'usage, ce qui pourrait suffire à gommer sa moindre capacité. Au final, poursuit Harned, la bonne nouvelle c'est que le programme A380 est "suffisamment petit pour qu'il n'ait pas d'impact sur la performance financière du groupe", du moins à l'avenir.
 

Prix moyens des appareils. A gauche Boeing, à droite Airbus (sources tarifs 2018 Boeing & Airbus). Rappelons que les contrats sont en réalité passés avec de généreuses ristournes sur les prix théoriques (cliquer pour agrandir)