AIX-EN-PROVENCE (awp/afp) - Des avantages, des inconvénients et "beaucoup de questions": aux rencontres d'Aix-en-Provence, la faiblesse des taux d'intérêts, tirés vers le bas par la politique expansionniste des banques centrales, divise les économistes, décontenancés par un phénomène jugé "inespéré" ou "délirant".

"Combien de temps ça va durer? Jusqu'où cela va aller? Tout le monde se pose des questions", résume Ludovic Subran, chef économiste d'Allianz, qui voit dans les taux négatifs le symptôme d'une économie arrivée à un "moment charnière". "C'est très déstabilisant", insiste-t-il.

Après une première incursion en territoire négatif en 2016, le taux d'emprunt à 10 ans de l'Allemagne, qui fait référence en Europe, a plongé en mars et ne cesse depuis lors de s'enfoncer. Mi-juin, il a été rejoint par celui de la France, tombé à un plus bas historique.

Ce phénomène, apparemment irrationnel, signifie qu'un investisseur se verra rembourser un peu moins qu'il n'a prêté s'il garde son titre jusqu'à échéance: pour lui, l'objectif est de bénéficier d'un placement sûr -- quitte à payer légèrement pour cela, comme lors de la location d'un coffre-fort.

Faut-il s'en inquiéter ou faut-il s'en réjouir? Pour les Etats concernés, la faiblesse des taux a tout d'une aubaine: c'est "une source d'espoir" parce que cela réduit "la charge de la dette", le coût des emprunts étant quasiment nul pour les finances publiques, souligne Philippe Aghion, professeur au Collège de France.

Selon la Cour des comptes, la France devrait économiser l'an prochain quatre milliards d'euros sur la charge de la dette par rapport à ses prévisions initiales. Une manne inespérée, alors que Bercy peine à financer les baisses d'impôts annoncées à l'issue du "grand débat".

Doit-on aller plus loin en profitant des faibles taux pour financer des réformes de long terme? C'est ce que souhaitent plusieurs économistes, à l'image de Jean Pisani-Ferry, qui appelle à emprunter massivement pour la transition écologique.

Cette position "se justifie", soutient Philippe Aghion. "Si on ne fait pas la transition énergétique maintenant, ça va coûter beaucoup plus cher demain. Donc il y a une bonne raison de s'endetter maintenant".

Pour Agnès Benassy-Queré, de l'Ecole d'économie de Paris, les faibles taux peuvent être "une opportunité pour investir", mais "pas dans n'importe quoi". "Il faut que ce soit sur de l'investissement public, pas des dépenses courantes", estime-t-elle.

"Une espère de drogue"

Interrogé samedi sur ce sujet, le ministre de l'Economie et des Finances Bruno le Maire s'est montré prudent, en estimant que si "des dépenses supplémentaires" devaient être envisagées, elles devaient l'être "au niveau européen".

Les "taux d'intérêt négatifs ne doivent pas devenir une espèce de drogue qui nous empêche de voir certaines réalités économiques", a ajouté le ministre, insistant sur les "inconvénients" induits par ces faibles taux.

Au-delà du risque de dérapage des finances publiques dans les pays déjà lourdement endettés, c'est l'impact des faibles taux sur le secteur financier et ses possibles répercussions macroéconomiques qui suscitent l'inquiétude.

"Les taux zéro, c'est une bonne chose pour l'investissement de long terme. Mais ça n'est pas sans conséquences", rappelle Patrick Artus, économiste chez Natixis, qui appelle à regarder "la colonne des plus et la colonne des moins".

Dans cette dernière colonne: l'impact sur la santé des banques, dont la rentabilité baisse; l'envol des prix de l'immobilier, avec le risque de formation d'une bulle; et le maintien en vie d'entreprises "zombies", "inefficaces" mais "qui survivent artificiellement".

"Les taux zéro, ce n'est pas sans inconvénients. On ne peut pas dire +on met les taux à zéro jusqu'à la fin des temps et tout est réglé+: c'est délirant", s'agace M. Artus, qui appelle les banques centrales à prendre davantage en compte ces "effets négatifs".

"Le problème, c'est que l'inflation est très faible, notamment en Europe. D'un point de vue macroéconomique, la position des banques centrales n'est pas facile", juge Agnès Benassy-Queré, pour qui l'atonie des prix soulève "beaucoup de questions".

"Les taux sont trop bas pour être honnêtes", conclut Ludovic Subran, qui voit dans cette situation le "symptôme d'une très forte aversion au risque" de la part des épargnants et des investisseurs: "quelque part, c'est inquiétant".

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