par Joseph Ax
    NEW YORK, 14 novembre (Reuters) - Donald Trump s'est efforcé
tout au long de sa campagne électorale de se présenter en homme
d'affaires accompli capable d'appliquer à l'échelle des
Etats-Unis les recettes qui lui ont permis de faire fructifier
la fortune familiale, en faisant notamment valoir ses qualités
de négociateur.
    Certains spécialistes des questions d'éthique redoutent
toutefois que l'immense conglomérat qu'il dirige, la Trump
Organization, et sa présidence se heurtent à un nombre sans
précédent de conflits d'intérêt dès sa prise de fonction, prévue
le 20 janvier 2017.
    La législation fédérale américaine n'interdit pas à un
président de posséder des entreprises privées tout en exerçant
ses fonctions, contrairement aux membres du Congrès qui sont sur
ce point soumis à des règles très strictes. 
    A titre d'exemple, le président Lyndon Johnson a continué
d'administrer discrètement ses sociétés alors qu'il assurait en
public avoir cessé de le faire, souligne son biographe, Robert
Caro.
    "Il n'y a aucune restriction légale", note Noah Bookbinder,
directeur général de Citizens for Responsibility and Ethics in
Washington, une organisation civique indépendante.
    Depuis Lyndon Johnson, la plupart des locataires de la
Maison blanche ont cependant placé leurs actifs personnels,
qu'il s'agisse de bien immobiliers ou d'investissements
financiers, dans des fonds fiduciaires sans droit de regard
(blind trusts) gérés par des administrateurs indépendants, afin
d'éviter les conflits d'intérêts.
    Barack Obama a là-dessus fait figure d'exception,
essentiellement en raison de la nature de ses investissements,
majoritairement constitués de fonds indiciels et de bons du
Trésor qui ne présentent pas le risque de provoquer de
quelconques conflits d'intérêts.
    
    LARGE ÉVENTAIL D'INVESTISSEMENTS
    Son successeur possède en revanche un large éventail
d'investissements, dans la franchise, l'hôtellerie et détient
également de nombreux parcours de golf. Au cours de sa campagne,
il a dû rendre publics des détails de son patrimoine financier
dans un document d'une centaine de pages qui a montré qu'il
possédait des participations dans plus de 500 entités, portant
pour certaines des noms tels que China Trademark LLC ou DT Marks
Qatar LLC, sans pour autant en préciser la nature.
    Si la présidence américaine s'est très souvent offerte à des
hommes fortunés, aucun chef d'Etat n'est arrivé dans le Bureau
ovale en possédant une telle nébuleuse d'actifs.
    Interrogée sur cette question, la porte-parole de l'homme
d'affaires new-yorkais n'a pas précisé comment il entendait
gérer ses affaires pendant sa présidence.
    Pour tenter de désamorcer les accusations dont il pourrait
faire l'objet, Donald Trump a annoncé au cours de sa campagne
qu'il allait probablement transférer à ses enfants la gestion au
jour le jour de ses investissements, sans pour autant convaincre
les spécialistes des questions d'éthique gouvernementale.
    "Cela lui permettra vraisemblablement d'avoir plus de temps
pour exercer ses fonctions de président, mais cela ne balaye en
aucun cas les risques de conflits d'intérêts", estime Kenneth
Gross, un avocat de Washington qui a conseillé un grand nombre
de personnalités politiques confrontées à ces risques
juridiques. "Les intérêts de sa famille, ceux de ses enfants,
coexistent avec les siens."
    La nature des activités de Donald Trump justifie plus que
jamais le recours à un "blind trust", quand bien même il
éloignerait sa famille du contrôle de son empire, estime Richard
Gross, mais Donald Trump a rejeté cette idée.
    
    INTÉRÊTS ÉTRANGERS
    Certains conflits d'intérêts sont évidents, à l'image de 
l'une de ses dernières constructions, un hôtel de luxe bâti à
Washington sur un terrain loué auprès de l'Etat fédéral. En cas
de litige, Donald Trump se trouverait des deux côtés de la
procédure.
    Pour certains de ses autres actifs, le risque est moins
apparent mais pas inexistant. Donald Trump est titulaire de
nombreux accords de franchise et propriétaire de holdings
foncières présentes dans un grand nombre de pays et qui sont
susceptibles de bénéficier de subventions et de réductions
d'impôts octroyées par des gouvernements étrangers.
    Selon le New York Times, certaines de ses sociétés possèdent
des centaines de millions de dollars de dette de banques
soumises à la régulation américaine, comme Deutsche Bank
 ou Bank of China.
    Quant à son empire hôtelier, il s'étend de la Turquie à
l'Uruguay en passant par les Philippines et la Corée du Sud et
il possède des parcours de golf aux Emirats arabes unis, en
Irlande ou encore en Grande-Bretagne.
    Ces actifs sont eux aussi susceptibles de faire émerger des
conflits d'intérêt si leur pays d'accueil cherchait à influencer
la politique des Etats-Unis en commerçant avec les entreprises
de Donald Trump ou de ses enfants. L'une de ses filles, Ivanka,
possède ainsi une marque de prêt-à-porter dont les produits sont
fabriqués en Chine, un pays accusé par Donald Trump de manipuler
sa devise et dont il menace de revoir le cadre douanier.
    
    AUCUN COMPTE À RENDRE
    Au cours de sa campagne, la candidate démocrate, Hillary
Clinton, a elle aussi été visée par des critiques qui portaient
sur la Clinton Foundation, fondée par son époux, Bill Clinton. 
    Lorsqu'elle dirigeait la diplomatie américaine, Hillary
Clinton a signé un document par lequel elle s'engageait à ce que
les donateurs n'interfèrent pas dans la politique étrangère des
Etats-Unis et a accordé un droit de regard au département d'Etat
sur les donations en provenance de puissances étrangères.
    Mais contrairement à cette dernière, Donald Trump n'aura de
compte à rendre à personne. Et il a montré au cours de sa
campagne qu'il n'hésitait pas à flirter avec certaines limites
en organisant des meetings dans ses propres hôtels et à truffer
ses discours de références à ses propres entreprises.
    Pour certains spécialistes, placer les hôtels Trump ou les
parcours de golf du même nom dans un "blind trust" n'apporterait
pas grand-chose.
    "On ne place pas un parcours de golf dans un 'blind trust',
ce serait inutile", estime Robert Kelner, juriste à Washington.
"Le principe du 'blind trust' c'est qu'il est aveugle, vous ne
savez pas quels actifs il possède."
    Certains experts avancent une idée radicale, la seule à
leurs yeux susceptible d'ôter tout risque de conflit d'intérêt:
que Donald Trump liquide tous ses actifs et place la recette
dans un "blind trust".
    Faute de cadre juridique, les décisions de Donald Trump ne
seront soumises qu'à deux types de sanctions, celles des
électeurs et celles qui pourraient résulter d'un renforcement à
Washington des règles de l'équilibre des pouvoirs.
    Le risque d'émergence de conflits d'intérêts est accentué
par l'opacité qui règne autour des actifs que possèdent Donald
Trump et ses nombreuses sociétés. Leur valeur elle-même est
sujette à débat. Si l'homme d'affaires dit peser plus de 10
milliards de dollars (9,33 milliards d'euros), plusieurs
magazines financiers évaluent sa fortune à moins de la moitié de
cette somme.
    Refusant de se soumettre à l'usage établi, Donald Trump a
constamment refusé de publier ses déclarations de revenus et
rien ne l'obligera à le faire une fois qu'il sera formellement
devenu le 45e président des Etats-Unis.

 (Avec Mica Rosenberg, Nicolas Delame pour le service français)

Valeurs citées dans l'article : Deutsche Bank AG, Bank of China Limited