IÉNA (awp/afp) - Iéna, ses chercheurs, ses entreprises high-tech et ses exportations florissantes. Cette ville allemande est une des quelques réussites économiques de l'ex-RDA, région encore souvent à la traîne de l'Ouest et terrain de chasse privilégié de la droite nationaliste.

A courte distance des façades colorées de la place du marché, se détachent d'un bâtiment blanc les lettres bleues de Jenoptik. Fruit de la transformation d'un combinat de la RDA communiste, ce groupe, qui trouve ses origines dans le grand nom de l'optique Carl Zeiss, fabrique et vend aujourd'hui ses systèmes optiques et lasers de pointe dans le monde entier.

En cette fin d'hiver, des Coréens sont ainsi venus y apprendre à utiliser des lasers haute précision découpant des pièces automobiles.

"La combinaison de haute-technologie, d'employés bien formés et de l'internationalisation constitue un facteur de réussite certain", explique Michael Mertin, patron du groupe de 3.500 employés.

Un quart de siècle après la réunification allemande, Jenoptik va très bien: des bénéfices qui progressent, des commandes qui rentrent, une action qui grimpe.

Le succès est aussi de mise pour Iéna: une université ancienne et réputée, des étudiants représentant quasiment un quart des quelque 100.000 habitants, presque 5.000 entreprises, des brevets déposés en nombre et un chômage semblable à celui du pays.

"Iéna a toujours surmonté les crises, car les entreprises technologiques de la ville sont présentes sur beaucoup de marchés, avec des produits de pointe variés, et sont fortes à l'export", résume Wilfried Röpke, directeur de Jena Wirtschaft, qui promeut l'économie de la ville.

Une heureuse exception dans une Allemagne de l'Est à la traîne ? Peut-être, mais pas la seule: Mercedes-Benz investit des millions d'euros à Ludwigsfelde (Brandebourg), BMW a une usine ultra-moderne à Leipzig, Dresde a sa "Silicon Saxony" et les studios Babelsberg à Potsdam accueillent des superproductions internationales.

- A priori -

Néanmoins "l'Allemagne de l'Est a toujours une image pas si positive que ça, il y a encore des a priori", regrette Wilfried Röpke. Même pour recruter à Iéna, il faut d'abord dépasser "une petite réticence première". Un frein psychologique persistant surtout chez les Allemands eux-mêmes, relève Michael Mertin, natif de Cologne (ouest), alors qu'à l'international, "l'Allemagne est vue comme une seule entité forte".

Signe d'une amélioration, les régions de l'Est, toujours appelées "nouveaux Länder" (Saxe, Saxe-Anhalt, Thuringe, Brandebourg et Mecklembourg), désertés après la chute du Mur, attirent désormais plus d'habitants qu'ils n'en perdent, mais surtout dans les principales villes, selon un institut de recherche berlinois.

La convergence économique reste cependant loin d'être complète. A 8,6%, le taux de chômage à l'Est reste de trois points plus élevé qu'à l'Ouest et le PIB par habitant était en 2015 à 72,5% de celui de l'Ouest.

Selon le patron de Jenoptik, le principal "gros défi" est le manque "de grosses entreprises, pouvant d'elles-mêmes devenir internationales". Aucun des trente principaux groupes allemands cotés n'est basé à l'Est.

- Peur de l'avenir -

Ce décalage économique certes réduit mais persistant est un terreau favorable pour le parti de droite anti-immigration Alternative pour l'Allemagne (AfD), qui s'appuie sur les inquiétudes de la population révélées par les élections américaines ou encore le Brexit: la crainte de la désindustrialisation, de la mondialisation et des étrangers.

"La situation économique de Iéna est relativement bonne, mais 30 kilomètres à l'est la situation est beaucoup plus mauvaise", considère Denny Jankowski, candidat de l'AfD à Iéna. Cet ingénieur ne voit "absolument pas" de convergence entre l'Est et l'Ouest et fustige le développement "d'un secteur de bas salaires".

En Thuringe, comme dans tout l'Est de l'Allemagne, l'AfD est créditée d'environ 20% d'intentions de vote dans les sondages. Deux fois plus que son score national anticipé pour les élections législatives de septembre.

"Il y a une peur diffuse de ne pas pouvoir maintenir son niveau de vie", regrette Michael Mertin, appelant au contraire "à dessiner de nouveau des scénarios positifs de l'avenir".

"Dans chaque changement se trouve une chance", considère-t-il. Iéna a su saisir la sienne, mais le succès économique suffit-il pour faire redescendre le vote populiste ?

Ce n'est "pas si simple", reconnaît Wilfried Röpke. Mais "quand la situation économique permet qu'une grande partie de la population soit satisfaite de sa situation, alors la propension à chercher des coupables ou à se jeter sur des solutions simplistes, est moindre."

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