Vaincu mercredi par un cancer à l'âge de 89 ans après avoir souffert toute sa vie d'arythmie cardiaque, Jack Bogle peut se vanter d'avoir fait économiser des milliards de dollars aux investisseurs de la planète en militant pour des fonds ayant pour objet de répliquer la performance d'un indice plutôt que d'essayer de le battre.

Sa société, Vanguard, qu'il avait créée deux ans plus tôt, lançait en 1976 le premier fonds indiciel à l'intention des investisseurs particuliers, le Vanguard 500 Index Fund, une innovation accueillie alors avec perplexité par le monde de la finance.

Aujourd'hui, Vanguard compte plus de 5.000 milliards de dollars d'actifs sous gestion et regroupe, avec ses compatriotes BlackRock et State Street, l'essentiel de la gestion indicielle, dont la forme la plus connue sont les fonds indiciels cotés (exchange-traded funds, ETF).

Simples, abordables, transparents et gérés de manière passive, c'est-à-dire automatisée, les ETF, qui offrent la particularité d'être cotés en Bourse, agacent certains tenants de la gestion active qui les accusent de perturber les marchés, voire de tuer l'investissement.

Bien plus abordables et souvent plus performants que les fonds gérés de manière active, les ETF ont connu un coup d'accélérateur après la crise financière de 2007-2009, séduisant des investisseurs lassés d'avoir à payer cher pour perdre de l'argent.

DES VARIANTES CONTROVERSÉES

Parfaitement adaptés à un marché en hausse régulière, les ETF paraissent moins à l'aise dans les périodes de forte volatilité, comme celle que traversent actuellement les marchés, mais encore faut-il que les adeptes du "stock picking" parviennent alors à battre les indices, ce qu'ils font rarement.

Certaines variantes exotiques des ETF, notamment celles avec un gros effet de levier vis-à-vis du marché, sont particulièrement controversées, et également très éloignées de la philosophie du "buy and hold" prônée par Jack Bogle.

Le message martelé par ce dernier durant sa longue existence aura été la nécessité d'offrir au plus grand nombre un accès abordable et facile à l'investissement.

Même après avoir quitté le conseil d'administration de Vanguard, en 1999, il avait continué de prêcher la cause des fonds indiciels.

"Il est assez rare de trouver des gens qui restent aussi fidèles à leurs principes et leurs convictions, à la fois dans leur vie privée et dans leur vie professionnelle", souligne le consultant spécialisé Neil Bathon.

Par bien des aspects, la vie de Jack Bogle fut à l'exact opposé de celle de son grand rival, Edward "Ned" Johnson III, qui hérita de son père le contrôle de Fidelity Investments et fit appel à des stars de la gestion active comme Peter Lynch.

L'HOMMAGE DE WARREN BUFFETT

En 2017, lors de l'assemblée générale annuelle de sa société, Berkshire Hathaway, Warren Buffett avait rendu un hommage appuyé à Jack Bogle, en présence de ce dernier, en disant qu'il avait permis aux investisseurs de mettre "des dizaines et des dizaines de milliards de dollars dans leur poche".

En 2018, les cinq plus gros fonds de Vanguard ont permis aux investisseurs les ayant choisis d'économiser au moins cinq milliards de dollars, en prenant en compte les frais qu'ils auraient dû payer pour conserver les mêmes actifs dans des fonds gérés de manière active, selon les calculs du consultant spécialisé Neil Bathon.

Les adversaires de la gestion indicielle ne désarment pas pour autant et pointent le risque représenté par la taille et la concentration du secteur, dont les trois leaders pourraient bientôt détenir 30% ou plus du marché d'actions américain.

Jack Bogle lui-même avait pris conscience du danger représenté par la puissance du monstre qu'il avait contribué à créer.

Dans une tribune publiée en novembre par le Wall Street Journal, il reconnaissait que la poursuite de la croissance de BlackRock, Vanguard et State Street pourrait poser un problème.

"Je ne pense pas qu'une telle concentration puisse servir l'intérêt national", écrivait-il.

(Patrick Vignal pour le service français, édité par Marc Joanny)

par Ross Kerber et David Randall

Valeurs citées dans l'article : BlackRock, Berkshire Hathaway