MONTRÉAL (awp/afp) - Lourdement endetté alors qu'il achève une douloureuse restructuration, le constructeur Bombardier, fleuron industriel du Canada, se voit aujourd'hui contraint d'envisager la vente d'actifs majeurs pour rester en vie.

Depuis des semaines, le groupe basé à Montréal est au coeur de rumeurs incessantes sur les marchés sur la possible vente prochaine de sa division ferroviaire à Alstom ou à un autre concurrent, ou de celle des avions d'affaires au constructeur américain Textron.

Le 16 janvier, Bombardier a annoncé examiner "différentes solutions qui nous permettraient d'accélérer le remboursement de notre dette", alors qu'il révisait une nouvelle fois à la baisse ses résultats 2019, qui seront publiés le 13 février.

Bombardier, qui a cédé à Airbus en 2018 le contrôle de son avion moyen-courrier CSeries devenu A220, a par ailleurs indiqué réévaluer "sa participation" à hauteur de 33,58% dans la société Airbus Canada (SCAC), qui gère ce programme.

Le programme de l'A220 nécessite "des capitaux additionnels pour soutenir l'accélération des cadences de production", a souligné le groupe.

Or pour Bombardier, cela repousserait la "rentabilité" du programme, dont "le rendement serait moins élevé que prévu" sur sa durée, avec le risque ainsi de "réduire significativement la valeur de la coentreprise".

L'entreprise contrôlée par les familles Beaudoin et Bombardier, héritières du fondateur et inventeur de la motoneige dans les années 1940, est plombée par une dette de plus de 9 milliards de dollars américains (8,2 milliards d'euros).

Près de 2 milliards de cette dette arrive à échéance en 2021, le reste en 2025, souligne auprès de l'AFP Mehran Ebrahimi, spécialiste de l'aéronautique à l'université du Québec à Montréal (UQAM). Pour lui comme pour de nombreux experts, la cession d'une division est "inévitable".

Bombardier "a eu des ambitions plus grandes que ses moyens", a noté le ministre québécois de l'Economie, Pierre Fitzgibbon. Il estime lui aussi que l'entreprise n'aura pas d'autre choix que de se départir de l'une de ses deux divisions, en plus de se retirer du programme de l'A220.

"Erreur stratégique très grave"

Dans la dernière décennie, Bombardier a investi des sommes colossales dans le développement de trois nouveaux avions, le moyen-courrier CSeries et les avions d'affaires Global 7500 et Learjet 85.

Or le CSeries, premier mono-couloir de conception nouvelle depuis plus de 25 ans, est tombé dans l'escarcelle d'Airbus, tandis que Bombardier a abandonné le troisième après avoir englouti deux milliards de dollars, rappelle M. Ebrahimi.

Aujourd'hui, environ "90% de la dette" de Bombardier s'explique par ces deux programmes, selon M. Fitzgibbon.

A la fin des années 2000, Bombardier s'est lancé dans le projet du CSeries, un appareil de 100 à 140 passagers, pour élargir sa gamme d'avions régionaux, qui avait fait sa fortune dans les années 1990.

"Inévitable" à l'époque, cette décision s'est cependant avérée coûteuse, note Michel Nadeau, directeur à Montréal de l'Institut sur la gouvernance (IGOPP), un centre de recherche réputé. "A posteriori", Bombardier "n'aurait pas dû s'attaquer au duopole de Boeing et Airbus. C'était périlleux", estime cet expert.

"Il y a eu une erreur stratégique très grave", abonde M. Ebrahimi.

L'entreprise a même frôlé la "faillite" ces dernières années, a admis son PDG Alain Bellemare. Celui-ci a lancé une vaste restructuration en 2015, destructrice de milliers d'emplois mais qui n'a pas encore permis à Bombardier de redécoller ou de réduire sa dette.

Cette dernière a même augmenté depuis, alors que les turbulences de l'aéronautique ont gagné la branche ferroviaire, aux prises avec des problèmes dans l'exécution de contrats lucratifs au Royaume-Uni, en Allemagne ou en Suisse.

Pour les prochaines étapes, Bombardier, qui emploie 68.000 personnes dans le monde, promet de fournir de "l'information supplémentaire" lors de la présentation de ses résultats jeudi.

Le Premier ministre du Québec, François Legault, a promis de "tout faire" pour protéger les quelque 14.000 emplois de Bombardier dans la province, concentrés essentiellement dans l'aéronautique, mais a exclu de réinvestir dans l'A220.

La province détient une participation de 16,36% dans Airbus Canada et de plus de 30% dans Bombardier Transport (trains), après avoir investi au total 2,5 milliards de dollars américains dans l'entreprise en 2015.

"On nous promettait la lumière au bout du tunnel depuis cinq ans, que la compagnie serait remise sur pied", rappelle M. Nadeau en dressant un bilan "plutôt négatif" du travail du PDG de Bombardier. "On ne nous a jamais dit que la compagnie serait liquidée tout doucement".

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