Sur le moyen et le long terme, les marchés financiers ont toujours offert d'appréciables retours, avec la sélection de valeurs adéquate. Les chiffres et les investisseurs de long terme à la mode Warren Buffett le prouvent. Cela ne signifie pas qu'il faut forcément rester passif pendant les coups de tabac. Quand tout baisse, il y a les baisses XXL et les baisses contenues. Pendant la crise des subprimes, un bioMérieux (-8%) a fait bien meilleure figure qu'un Renault (-90%). Lorsque la bulle internet a explosé, l'actionnaire d'Air Liquide (-11%) pouvait regarder de haut celui de Vivendi (-80%). Mais le mythe de l'investisseur qui arbitre dans le timing idéal porte bien son nom : cela reste un graal. La plupart du temps, le gestionnaire avisé se contente de réorienter ses positions en fonction de leur risque intrinsèque, en s'aidant d'une typologie bien rodée qui repose sur la corrélation avec les différents stades du cycle économique.
 
Une question de style
 
Qu'appelle-t-on un dossier défensif, par opposition à un dossier cyclique ? Basiquement, identifier les candidats revient à répondre à la question "quelles sont les dépenses auxquelles je renonce et par conséquent quelles sont celles qui sont incompressibles, en tant que consommateur ou que chef d'entreprise ?" Par exemple, un individu continuera à se nourrir, à se soigner, restera abonné à l'eau, à l'électricité, au téléphone et continuera à mettre de l'essence dans son véhicule. En revanche, il est probable qu'il reportera l'achat d'un nouveau véhicule, les travaux de sa maison et qu'il sera plus regardant avec ses voyages ou ses sorties au restaurant.
 
Pour les besoins de notre bilan, nous allons affiner un peu la lecture sectorielle en utilisant quatre indices en plus du Stoxx Europe 600 (l'indice large européen, qui compte comme son nom l'indique 600 valeurs). Le STOXX propose en effet une classification un peu plus poussée en quatre "benchmarks" : cycliques, défensives, consommation de base, consommation discrétionnaire :
 
  • Les véritables défensives tracent leur route indépendamment, ou presque, des cycles économiques. Elles tiennent mieux le choc quand ça tangue mais ont peu d'effet de levier quand l'économie tourne à plein régime.
  • Les sociétés classées en consommation de base n'ignorent pas les cycles économiques mais elles y sont peu sensibles.
  • Les sociétés cycliques suivent les grands mouvements économiques : elles gagnent plus d'argent quand la croissance accélère et moins quand elle ralentit.
  • Les sociétés de l'univers de la consommation discrétionnaire bénéficient d'un effet de levier important pendant les périodes de croissance.
 
Les composantes des différentes typologies
 
Le STOXX Europe 600 Optimised Defensives (SDEFN) comprend 113 valeurs peu dépendantes à l'évolution du cycle, dont 46% de valeurs liées à la Santé, 20,2% au Pétrole & Gaz, 15% aux Utilités, 13,8% aux Télécoms et 5,1% à l'Assurance. Parmi les Françaises qui le composent, figurent Total, Sanofi, Orange, Engie, EDF, Veolia, Suez, Eurofins, Rubis, Ipsen, Orpea et bioMérieux. La petite poche Assurance est essentiellement composée de réassureurs.
 
Le STOXX Europe 600 Optimised Consumer Staples (SCOST) comprend 41 sociétés proposant de la consommation de base, modérément à peu sensibles aux cycles. Il est dominé à 46% par les Biens de Consommation Personnels et d'Entretien de la Maison et à 41,5% par le segment Aliments & Boissons. Les 12,5% restants sont de la distribution. On y retrouve L'Oréal et Danone, Pernod Ricard, Rémy Cointreau et Carrefour pour ce qui concerne les Françaises.
 
Le STOXX Europe 600 Optimised Cyclicals (SCYC) est un indice intégrant des titres bien corrélés aux cycles économiques. Nettement plus fourni (309 composants), il contient 29% de Banques, 23% de Biens d'Equipement, 10,4% d'Assurance, 8% de Technologie, 7,9% de Ressources de Base, 6,3% de Chimie, 5,2% de BTP, 4,2% de Services Financiers, 3,5% d'Immobilier et 1,4% de Pétrole et Gaz. On ne citera pas toutes les françaises mais on y retrouve par exemple BNP Paribas, Axa, Airbus, Schneider, Vinci, ArcelorMittal, Capgemini, Gecina ou Elis. La poche Pétrole & Gaz concerne des sociétés d'exploration et de services et non plus des majors comme dans l'indice défensif.
 
Quant au STOXX Europe 600 Optimised Consumer Discretionary (SCONDR), il comprend 84 sociétés de l'univers de la "Consommation Discrétionnaire". L'Automobile & Equipementiers (27,3%), les Biens de Consommation Personnels et d'Entretien de la Maison (25%), les Médias (19,9%), la Distribution Spécialisée (14%) et les Loisirs (13,8%). Des illustrations parmi les sociétés hexagonales ou apparentées ? LVMH, Kering, Hermès, Renault, Peugeot, Michelin, Faurecia, Accor, Sodexo, Ubisoft, Lagardère, SES, Eutelsat et Seb.
 
Pour éviter de trop alourdir le propos, nous ne ferons qu'effleurer le débat délicat de la classification elle-même, qui appelle des remarques et qui diffère d'ailleurs d'un prestataire à l'autre. Pourquoi ranger un Eutelsat en médias plutôt qu'en télécom ? L'Oréal et Pernod Ricard ont-ils plus leur place dans l'univers discrétionnaire ? La longueur du cycle aéronautique fait-elle toujours d'Airbus une cyclique ? Où ranger un Amazon ou un Google (pas en Europe en tout cas, me direz-vous) ? Bref, aucune classification n'est parfaite.
 
Qui paie le plus ?
 
Pour en revenir au cas qui nous préoccupe, observons le parcours des quatre stratégies et du Stoxx Europe 600 sur quatre pas de temps :
  • En 2018 (du 1er janvier au 10 octobre)
  • Depuis le point haut du CAC40 avant la crise des subprimes (1er juin 2007)
  • Depuis le point bas du CAC40 après la crise des subprimes (10 mars 2009)
  • Entre le 1er juin 2007 et le 10 mars 2009, le pire timing d'investissement de la période récente
 
Le tableau ci-dessous donne les performances de chaque typologie sur les trois périodes, avec en rouge et en vert la pire et la meilleure stratégie pour un pas de temps donné.
 
  • En 2018, être défensif a payé, un peu, tandis que la poche cyclique affiche assez nettement la plus mauvaise performance.
  • Le champion de l'investissement qui serait entré sur le marché au plus bas de 2009 avait tout intérêt à miser sur la consommation discrétionnaire (+300%), alors que la stratégie défensive est logiquement en retrait (+69% seulement)
  • L'investisseur qui aurait eu la malchance d'entrer sur le marché au plus haut du 1er juin 2007 n'aurait pas eu la meilleure performance en misant sur les défensives, mais il aurait limité les dégâts. C'est encore une fois la consommation discrétionnaire qui a dominé les débats (+67%), alors que les cycliques pures étaient à la peine (-29%).
  • Au cœur de la crise, les cycliques ont été laminées, en particulier à cause des valeurs financières. Les pertes les plus faibles ont été enregistrées sur la consommation de base, qui a battu les défensives pures d'un cheveu.

Les performances depuis le 1er juin 2007, en graphiques (le code couleur correspond au tableau (Source Stoxx.com - Cliquer pour Agrandir)

Le détail des performances permet de montrer que la poche consommation discrétionnaire est la plus intéressante, et de loin, sur la période de cycle haussier qui a démarré le 10 mars 2009. Mais elle domine aussi les débats en intégrant le plongeon de la période 2007/2009, même si miser sur la consommation de base constituait aussi une alternative pertinente. En revanche, passer défensif et le rester n'a pas constitué une option intéressante, car si le choc a été amorti durant la crise des subprimes, la poche n'a pas eu de ressort lors de la longue phase haussière. Seule consolation, une meilleure résistance cette année. Quant à la poche cyclique, elle arrive dernière dans trois des quatre configurations, même si la contreperformance a été accrue par les valeurs financières, principales victimes des "subprimes".
 
Une lecture affinée à venir
 
Dans un prochain développement, nous plongerons plus en détail dans les grandes forces qui expliquent les différentes variations, notamment pour détailler les sous-secteurs et les valeurs qui ont alimenté la performance. Nous jetterons aussi un œil sur les actions qui affichent les meilleurs rendements sur 20 ans, c’est-à-dire en intégrant la crise internet de 2000. Nous ajouterons aussi la dimension des dividendes, loin d'être négligeable sur de telles durées. On gardera aussi à l'esprit que les périodes de crise boursière sont infiniment plus brèves que les phases d'expansion, comme le montre le graphique ci-dessous réalisé par First Trust. 
 

Crises et comportement des marchés (Source First Trust - Cliquer pour agrandir)