Prise en étau entre une dette de 2,9 milliards d'euros et la chute du titre Casino qui constitue à la fois son principal actif et sa garantie auprès de ses prêteurs, la holding a été contrainte, jeudi, de demander la protection du tribunal de commerce de Paris afin de suspendre le remboursement de sa dette et de pouvoir la renégocier avec ses créanciers.

La procédure était la seule issue pour protéger Casino, dont la génération de trésorerie est en grande partie absorbée par le dividende qu'il sert à sa maison-mère, afin que celle-ci puisse payer ses intérêts financiers.

Cette annonce a pris les vendeurs à découvert à revers et fait rebondir le titre Casino qui a clôturé en hausse de 7,48% à 30,03 euros après avoir chuté de plus de 20% depuis le début de l'année.

La valeur reste la plus "shortée" du marché français, selon les données de IHS Markit. Les ventes à découvert comptaient pour 35% de son capital flottant le 23 mai, contre 28% dix jours plus tôt.

De son côté, Rallye a fini la séance en repli de 61,25% à 2,9450 euros.

Casino a fait savoir vendredi matin, lors d'une brève déclaration lue par son directeur financier, que Rallye n'avait pas perdu le contrôle de sa filiale.

Pourtant la question du contrôle de Casino sera posée, en fonction des modalités d'une restructuration pilotée par deux administrateurs judiciaires d'expérience, Hélène Bourbouloux et Frédéric Abitbol.

CRÉANCIERS OBLIGATAIRES

Pour nombre de spécialistes, la procédure devrait déboucher sur une perte du contrôle d'un groupe constitué par Jean-Charles Naouri à partir de 1991 grâce à de multiples strates d'endettement.

La cascade de holdings chapeautant Rallye, Foncière Euris, Finatis et Euris (non côtée), elle aussi endettée, a également été mise sous sauvegarde.

"Nous ne pensons pas qu'un simple rééchelonnement de maturités sera suffisant", estime Anthony Giret, analyste crédit chez Spread Research, pour qui Rallye n'a pas un simple problème de liquidités mais souffre d'une structure surendettée intenable dans le temps.

    L'issue la plus probable, selon lui, serait de voir les créanciers obligataires, qui portent 40% de la dette de Rallye, échanger leurs créances contre du capital et devenir ainsi les actionnaires de contrôle de la holding qui détient 51% de Casino.

Le solde de la dette de Rallye est détenu par des banques, notamment BNP Paribas, BPCE ou le Crédit agricole.

Contrairement aux porteurs d'obligations, les banques ont en leur possession les titres Casino apportés en garantie aux prêts de Rallye. Elles peuvent toujours décider de les vendre sur le marché. Les créanciers obligataires n'ont pas ce levier.

Une augmentation de capital, souvent opérée dans les opérations de restructuration, peut limiter la dilution de l'actionnaire de contrôle. Mais cette hypothèse semble peu probable compte-tenu de l'endettement des holdings de tête du groupe.

L'hypothèse d'une perte du contrôle de Jean-Charles Naouri constitue aussi le scénario central de nombre d'analystes, comme ceux de Bryan Garnier, Oddo ou Kepler Cheuvreux.

"La seule voie de sortie consisterait en une réduction drastique de la dette se soldant par un changement de contrôle et un départ de Jean-Charles Naouri", estiment ceux de Kepler Cheuvreux dans une note intitulée "Le Chant du cygne de Rallye".

"Ce serait la seule issue permettant à Casino de sortir renforcé, d'éviter un nouveau démantèlement de ses actifs", ajoutent-ils, estimant que "le vrai problème ne réside pas dans les "attaques spéculatives" régulièrement dénoncées par le distributeur mais par la masse de dettes de sa maison-mère.

QUAND MUDDY WATERS SE RAPPELLE A CASINO

A ce stade, Casino n'a donné aucune indication sur ce que pourrait être le niveau de son dividende, qui pourrait être abaissé, du moins pendant la période de sauvegarde, selon certains analystes.

Le distributeur a versé environ 340 millions d'euros de dividendes en 2018, dont 51% à Rallye.

Le fonds Muddy Waters, qui s'était attaqué le premier à la galaxie Casino, pour sa pile de dettes et une complexité financière masquant selon lui des résultats dégradés, a estimé vendredi que la sauvegarde de Rallye "était une "justification retentissante des avertissements lancés en 2015".

Il a également encouragé l'Autorité des marchés financiers (AMF) - qui a ouvert une enquête après la chute du cours de Casino à la fin 2015 provoquée par un rapport au vitriol du fonds - à "diriger davantage son focus sur les avertissements des sceptiques que sur les sceptiques eux-mêmes".

(Pascale Denis, édité par Jean-Michel Bélot et Matthieu Protard)

par Pascale Denis