par Trevor Hunnicutt

JACKSON HOLE, Wyoming, 22 août (Reuters) - Lorsqu'elle a abaissé son principal taux directeur pour la première fois depuis dix ans le mois dernier, la Réserve fédérale américaine avait deux objectifs: soutenir la croissance et relancer les anticipations d'inflation.

Mais vu des marchés, le pari n'est pas gagné: la conjoncture semble se dégrader et les indicateurs économiques suggèrent un ralentissement de la hausse des prix plutôt qu'une accélération.

La capacité des banquiers centraux à retarder la prochaine récession sera donc au coeur des débats entre responsables monétaires, économistes et autres participants au symposium économique de Jackson Hole, dans l'Etat américain du Wyoming en cette fin de semaine.

Il faut parfois attendre des mois pour pouvoir mesurer l'impact d'une baisse de taux sur la croissance. En attendant, si la baisse de taux de juillet semble déjà s'être répercutée sur le coût des crédits pour les entreprises et les ménages, les interrogations subsistent sur la capacité des seules baisses de taux à apaiser les craintes de récession. Car ces dernières sont alimentées avant tout par l'escalade dans les tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine.

"Il y a une prise de conscience non exprimée d'au moins une majorité des intervenants de marché sur le fait que quelles soient les baisses de taux que décidera la Fed, et même si la Fed décide de se lancer dans le QE, cela n'aura pas assez de force pour contrer les droits de douane", explique Kristina Hooper, responsable de la stratégie de marché globale d'Invesco.

Le QE (quantitative easing, assouplissement quantitatif) fait référence à la politique d'achats d'obligations sur les marchés menée par la Fed pour soutenir l'économie après la crise financière.

LE RISQUE D'UNE INFLATION FAIBLE PERSISTE

Depuis la baisse de taux du mois dernier, les marchés financiers restent nerveux, d'autant que les tensions entre Washington et Pékin sont loin de s'apaiser et que les signes de ralentissement économique s'accumulent. Ce climat s'est traduit par la dégradation de différents indicateurs de marché, des actions aux obligations d'entreprise, qui influencent la croissance économique.

La volonté du président de la Fed, Jerome Powell, de ne pas s'engager sur la poursuite de la baisse des taux lors de sa conférence de presse du 31 juillet n'est pas la cause première de la nervosité des marchés mais elle n'a assurément pas aidé à l'apaiser, expliquent des investisseurs.

"Ma préoccupation première porte sur l'efficacité de la baisse des taux", dit Jason Brady, directeur général de Thornburg Investment Management.

L'évolution de l'inflation dans les mois à venir pourrait être un critère clé d'évaluation de l'efficacité de la Fed. Lors de leurs dernières réunions, plusieurs responsables de l'institution ont dit craindre que les investisseurs et les consommateurs commencent à anticiper une chute de l'inflation, une conviction qui peut en théorie favoriser d'elle-même la baisse des prix.

Une inflation faible pourrait freiner la croissance des salaires et de la consommation et forcer la banque centrale a ramener les taux à zéro, ce qui ne lui laisserait que peu de ressources pour soutenir la croissance lors de la prochaine crise économique.

Certaines statistiques officielles suggèrent que l'inflation pourrait remonter et que certaines des déceptions des derniers mois en la matière pourraient être liés à des facteurs passagers. Mais les investisseurs ne jugent pas pour autant que les efforts de la Fed pour soutenir l'inflation soient particulièrement crédibles.

LA FED "OBSÉDÉE" PAR LES ANTICIPATIONS D'INFLATION ?

Le niveau d'inflation anticipé sur une période de cinq ans à partir de 2024 est tombé à son plus bas niveau depuis deux ans à 1,71% après la baisse de taux de juillet, selon un baromètre très surveillé qui prend en compte les prix de marché.

"Ce qu'anticipe le marché en matière d'inflation future est tout simplement trop bas", juge Leslie Falconio, stratège senior d'UBS Global Wealth Management. "On va assister à une remontée de l'inflation avec les droits de douane et l'assouplissement décidé par la Fed."

Mais ce pronostic ne fait pas l'unanimité. Pour Adam Posen, ancien responsable de la Banque d'Angleterre devenu président du Peterson Institute for International Economics, les responsables monétaires ont échoué à relancer l'inflation et attachent trop d'importance aux efforts visant à faire remonter les anticipations d'inflation alors que d'autres facteurs pèsent sur les prix.

"La politique fondée sur des objectifs d'inflation est exagérément obsédée par les anticipations", dit-il.

Après des années d'inflation faible, la vision qu'ont les investisseurs de l'économie semble avoir changé. Les marchés obligataires ont ainsi des anticipations très modestes en matière de croissance et d'inflation alors qu'ils s'attendent à une forte diminution des taux d'intérêt: selon le baromètre FedWatch de CME Group, les investisseurs tablent sur une baisse lors de chacune des trois réunions du Federal Open Market Committee (FOMC) qui auront lieu d'ici la fin de l'année.

"Le marché fait confiance au FOMC pour continuer à réduire les taux et accentuer le caractère accommodant de la politique monétaire mais il n'est pas convaincu que cela se traduira effectivement par des pressions inflationnistes", résument les analystes de BMO Capital Markets dans une note récente.

(Avec Howard Schneider; Marc Angrand pour le service français)