Le processus, annoncé par le gouvernement aux syndicats en février, doit permettre à la France de répondre aux exigences de Bruxelles, qui l'a mise en demeure en 2015 d'accélérer la libéralisation d'un secteur très largement dominé par l'électricien public.

"Nous demandons à ce que soit prise en compte la spécificité de l'hydraulique. Un barrage, ce n'est pas seulement de la production d'électricité, c'est aussi la sûreté de l'ouvrage, la gestion des crues et de l'eau (...) et l'aménagement du territoire", a dit à la presse Yves Giraud, directeur de la production et de l'ingénierie hydraulique d'EDF.

"Il s'agit de trouver des modalités qui permettent d'assurer toutes ces missions de service public et de les rémunérer", a-t-il également déclaré à l'occasion d'une visite du barrage de Bissorte et de la centrale de Super-Bissorte, dans la vallée de la Maurienne (Savoie).

Le barrage de Bissorte, dont la concession doit être renouvelée depuis fin 2014 et qui devrait donc faire partie des premiers ouvrages mis en concurrence par l'Etat, potentiellement dès cette année, accueille la troisième centrale hydroélectrique du parc français par la puissance (750 MW).

Bissorte fait partie d'un ensemble de 16 centrales hydrauliques - avec quatre grands barrages – implantées dans la vallée de la Maurienne, qui représentent au total une puissance installée de 2.200 MW équivalent à deux réacteurs nucléaires.

Le parc hydraulique de la vallée de la Maurienne produit en moyenne chaque année 4.000 GWh d'électricité, soit l'équivalent de la consommation d'environ 1,6 million d'habitants.

EDF, qui évoque un projet de mise en concurrence du parc français par lots, avec l'impossibilité de remporter toutes les concessions d'un même lot, souhaite un processus "équitable" lui permettant de se porter candidat au renouvellement de l'ensemble des ouvrages qu'il exploite actuellement.

DES INVESTISSEMENTS DE DÉVELOPPEMENT EN SUSPENS

"Le risque serait que les concessions les plus rentables partent à la concurrence et qu'EDF se retrouve avec les concessions qui le sont moins et avec des missions de service public qui ne seront plus rémunérées", a déclaré Yves Giraud.

"EDF assure l'ensemble de ces missions de service public depuis des décennies (...) et se rémunère sur la vente d'électricité de l'ensemble du parc. Une mise en concurrence de chacune des concessions doit se faire dans un ensemble qui assure la permanence de l'ensemble des missions (...) associées à ces ouvrages."

EDF est le premier exploitant du parc hydroélectrique français avec environ 80% des capacités de production - soit 20 gigawatts répartis entre 433 centrales -, loin devant Engie, numéro deux du secteur à travers ses filiales Compagnie nationale du Rhône (CNR) et Société hydro-électrique du Midi (SHEM).

Le groupe stocke aussi 7,5 milliards de mètres cubes d'eau dans les 622 barrages qu'il exploite, soit 75% des eaux de surface artificielle en France métropolitaine.

L'électricien, dont l'Etat détient 83,5% du capital, investit quelque 400 millions d'euros par an dans son parc hydroélectrique français mais reconnaît que les incertitudes actuelles ne l'incitent pas à lancer des développements nécessitant d'être amortis sur le long terme.

Il a toutefois soumis à Bruxelles un projet d'investissement dans une station de transfert d'énergie par pompage (Step) dans la vallée de La Truyère (Aveyron), en échange d'un renouvellement de concession.

Yves Giraud a en outre déclaré que la production hydroélectrique d'EDF s'annonçait cette année "excellente" et atteignait déjà 25 térawatts/heure (TWh) - contre 37 TWh sur l'ensemble de 2017 -, grâce en particulier aux importantes chutes de neige de l'hiver dernier.

La mise en concurrence du parc hydraulique français est un serpent de mer depuis l'annonce en 2010 d'une série d'appels d'offres pour dix barrages représentant 20% de la puissance hydroélectrique française, conformément à des directives européennes, qui ne s'est jamais concrétisée.

Le processus fait aujourd'hui l'objet d'échanges réguliers entre la Commission européenne et l'État français, mais il suscite une levée de boucliers chez les syndicats et les élus locaux.

Il pourrait intéresser des groupes étrangers tels que le suédois Vattenfall, l'espagnol Iberdrola, l'italien Enel, le norvégien Statkraft ou le suisse Alpiq, mais aussi le français Total qui est en train de se renforcer dans l'électricité en France avec le rachat de Direct Energie.

L'hydroélectricité était la troisième source de production électrique de la France en 2017, derrière le nucléaire et le thermique à combustible fossile, et constitue la première source d'électricité renouvelable du pays.

(Edité par Dominique Rodriguez)

par Benjamin Mallet