* Boeing renonce au rachat de la division aviation civile d'Embraer

* Cet échec pourrait conduire Embraer à demander le soutien du Brésil

* Isolé, Embraer tente de rassurer les investisseurs

* La Chine perçue comme un joker potentiel

par Marcelo Rochabrun, Tim Hepher et Rodrigo Viga Gaier

SAO PAULO/PARIS, 26 avril (Reuters) - Faute de plan "B" évident, l'avenir d'Embraer paraît bien incertain après l'abandon par le groupe américain Boeing de son projet de rachat pour 4,2 milliards de dollars de la division d'aviation commerciale du constructeur aéronautique brésilien.

"Notre histoire est émaillée de moments difficiles, et nous les avons tous surmontés", a déclaré aux 20.000 employés du groupe Francisco Gomes Neto, directeur général d'Embraer depuis moins d'un an et doté d'une faible expérience du secteur.

Cette crise est d'autant plus vive qu'Embraer est très isolé depuis la reprise par Airbus du programme qu'il a renommé A220, à l'origine de conception canadienne.

"Pour Embraer, cela pourrait être très dommageable", observe Richard Aboulafia, consultant du groupe Teal, qui souligne que le brésilien est le seul constructeur important de jets encore indépendant.

"Il est difficile de faire pression sur vos fournisseurs lorsque le volume que vous offrez correspond à une fraction seulement de celui de vos concurrents".

Pour l'heure, Embraer cherche avant tout à rassurer les investisseurs en annonçant une réduction de ses coûts et en déclarant disposer d'une solide trésorerie.

L'ancienne entreprise publique n'a pas demandé à ce stade de plan de sauvetage mais s'est simplement dit ouvert à des sources de financement "complémentaires".

Confronté à la crise liée au coronavirus, de nombreuses entreprises brésiliennes, notamment des compagnies aériennes et des constructeurs automobiles, ont ouvert des discussions afin de pouvoir bénéficier de mesures d'urgence.

Embraer "va avoir besoin d'un puissant soutien du gouvernement pour faire face au coût (de l'échec du rachat par Boeing) et résister à la crise du coronavirus", observe Aurelio Valporto, à la tête d'un groupe d'actionnaires minoritaires hostiles à cet accord.

Les deux arguments phares utilisés par Embraer pour séduire les investisseurs sont en effet partis en fumée.

Premièrement, il devait verser 1,6 milliard de dollars de dividendes dans le cadre de l'opération avec Boeing. Deuxièmement, il devait recevoir assez de liquidités pour rembourser ses dettes et relancer ses activités militaires et d'avions d'affaire.

Le rachat par Boeing était par ailleurs censé résoudre tous les problèmes de la division commerciale.

UN JOKER CHINOIS POLITIQUE SENSIBLE

Mais désormais, rien ne va plus.

Selon les analystes, cela ne pourrait pas arriver à un pire moment, d'autant que les ventes de son avion de ligne E2 ne décollent pas et que la chute vertigineuse des courts du pétrole n'encourage pas vraiment les propriétaires de jets à investir dans de nouveaux appareils plus économes en kérosène.

La décision de Boeing de renoncer à cette opération pourrait également se traduire par de longues et coûteuses batailles juridiques.

Selon des sources industrielles, Boeing a besoin de retrouver des marges de manoeuvre au moment où il demande au gouvernement américain de soutenir l'industrie aéronautique du pays.

"Il n'est pas très facile de demander de l'aide au Congrès et en même temps d'investir beaucoup d'argent dans une acquisition", a déclaré l'une de ces sources haut placée.

Embraer estime que si Boeing a prétexté des problèmes techniques pour annuler l'accord, il l'a fait en réalité pour des raisons financières. Boeing a répliqué en disant s'être retiré uniquement parce qu'Embraer n'avait pas respecté les conditions fixées lors des négociations.

Compte tenu du caractère potentiellement contentieux entre les deux anciens alliés, il est peu probable que les discussions reprennent entre eux, ce qui laisse peu d'options à Embraer.

Le joker potentiel pourrait toutefois être la Chine, qui a failli l'emporter face à Airbus pour reprendre le programme A220 et qui développe à marche forcée son industrie aérospatiale.

"D'un point de vue stratégique, c'est une option mais cela pourrait être politiquement problématique", observe Jerrold Lundquist, directeur général de The Lundquist Group.

L'entourage du président brésilien Jair Bolsonaro a en effet mis en cause à plusieurs reprises l'attitude de la Chine face à la pandémie de coronavirus.

(Marcelo Rochabrun à Sao Paulo, Tim Hepher à Paris et Rodrigo Viga Gaier à Rio de Janeiro, avec la contribution de Tatiana Bautzer à Sao Paulo. Version française Jean-Michel Bélot)