Le groupe d'Isabelle Kocher est au centre d'une polémique née en Belgique. Les autorités locales accusent Electrabel, la filiale d'Engie qui opère, notamment, les centrales nucléaires belges, de menacer l'indépendance énergétique du pays à cause des indisponibilités de plusieurs réacteurs. L'histoire (belge) de l'ancien GDF Suez est complexe, avec des fermetures à rallonge à Doel et à Tihange, fort coûteuses pour toutes les parties, des contrôles qui se durcissent au fil du temps et du vieillissement des installations et un vaste débat sur la prolongation de la vie des réacteurs. Exactement ce qui se passe en France, en somme.

Or voilà que le 'Canard Enchaîné' révèle qu'Isabelle Kocher aurait proposé au patron d'EDF, Jean-Bernard Lévy, de reprendre les sept réacteurs nucléaires belges d'Electrabel. Mais aussi les 49% détenus dans la Compagnie Nationale du Rhône, le second exploitant hydroélectrique français. Faux, a donc rétorqué Engie, pendant qu'EDF gardait le silence.

Sept réacteurs nucléaires

Pour bien comprendre les tenants et les aboutissants de cette affaire, penchons-nous sur le périmètre d'Engie, qui a fortement évolué ces dernières années. Au 31 décembre dernier, le mix-énergétique du groupe était largement dominé par le gaz naturel (56% des capacités), devant les énergies renouvelables (26%, hors hydro pompage turbinage) et le charbon (7%). Le nucléaire, un peu moins de 6 000 MW (dont 900 MW destinés à des tiers), ne représentait que 6% du total. Tout le parc est localisé en Belgique.

Electrabel affiche un résultat d'exploitation négatif depuis trois ans, notamment à cause des périodes d'indisponibilité de ses centrales nucléaires belges et des coûts de maintenance additionnels. Le tableau ci-dessous montre le taux de disponibilité des centrales nucléaires du groupe. A peu près constant jusqu'en 2011, ce taux a connu d'importantes variations au cours des dernières années. Les projections fournies pour 2018 et 2019 à partir des arrêts en cours et planifiés montrent que le retour sur des niveaux convenables n'est pas pour tout de suite. 
 

Source : Engie, Electrabel (Cliquer pour agrandir)
 
A l'heure actuelle, les réacteurs belges sont censés cesser de produire entre 2022 et 2025. Dans ce créneau, Doel 1, Doel 2 et Tihange 1 auront atteint 50 ans de durée de vie. Doel 2, Doel 4, Tihange 2 et Tihange 3 en seront à 40 ans. 
 

Source AFCN (Cliquer pour agrandir)
 
La CNR, un actif stratégique

Retour en France avec la Compagnie Nationale du Rhône. Cette entité est détenue à 50,03% par l'Etat via la CDC et les collectivités et 49,97% par Engie, une situation dont ne se satisfait sans doute pas l'énergéticien. Elle dispose d'une capacité installée de 3 744 MW, dont 3 100 MW, l'équivalent de trois tranches nucléaires, en hydraulique, en quasi-totalité sur le Rhône. Le solde est constitué d'éolien et de solaire. Le chiffre d'affaires net de la société a reculé de 632 à 505 millions d'euros entre 2016 et 2017, à cause de conditions météorologiques particulièrement adverses, qui ont affecté le débit du Rhône. Le résultat net a baissé dans le même temps de 93 à 30 millions d'euros. La CNR n'est pas le seul actif d'Engie dans l'hydroélectricité. Le groupe possède aussi la Société Hydro-Electrique du Midi, qui opère des installations hydrauliques dans le Sud-Ouest (sur le Lot, la Dordogne et dans les Pyrénées), pour un total de 783 MW de capacités installées.

Dans un contexte de transition énergétique, se couper de sources de production telles que la CNR ou la SHEM paraît stratégiquement discutable. La question du nucléaire belge est évidemment bien plus épineuse, car il constitue depuis plusieurs années une grosse épine dans le pied du groupe et une source de contentieux, aussi bien politique, qu'environnemental et économique, pour les années à venir. La transformation en profondeur voulue par Isabelle Kocher n'est pas encore achevée et les efforts accomplis pour redorer le blason d'Engie auprès des investisseurs continuent d'être sapés par un parc nucléaire belge qui est une source d'aléa majeure, sans doute la dernière du périmètre avec le reliquat polémique de centrales au charbon.