De nouveau cette semaine, les codirigeants d'EssilorLuxottica se sont déchirés par communiqués interposés. L'affaire est tant et si mal engagée entre MM. Del Vecchio et Sagnières que le premier a saisi de leur litige une instance para (à moins que ce ne soit pré) judiciaire : les arbitres de la Chambre de commerce internationale, qui rendent des 'sentences exécutoires'. Autant dire que le maigre espoir d'une conciliation rapide s'éloigne à grands pas.

A la Bourse de Paris, l'action EssilorLuxottica, en baisse de plus de 2% ce midi, est de nouveau la lanterne rouge du CAC 40. Revenue vers 96 euros, elle a maintenant perdu plus du quart de sa valeur depuis son sommet historique du début du mois d'octobre, lorsqu'EssilorLuxottica est formellement né. Soit 14,3 milliards d'euros de capitalisation boursière partis en fumée.

Comme le veut la chanson, 'le temps ne fait rien à l'affaire'. L'annonce du mariage des deux géants de l'optique remonte en effet à mi-janvier 2017. Sa concrétisation juridique a donc pris du temps. Las : force est de constater qu'à peine plus de deux ans plus tard, les bruits de vaisselle cassée couvrent déjà tous les autres. Ce qui, au passage, interroge sur la qualité de sa conception autant que sur son exécution.

D'un côté, Leonardo Del Vecchio, fondateur de Luxottica devenu PDG et premier actionnaire d'EssilorLuxottica, accuse les 'français' - en clair, Essilor International et son patron devenu 'alter ego' en titre de M. Del Vecchio au sein d'EssilorLuxottica, Hubert Sagnières - de ne pas respecter l'accord de rapprochement.

Sur quels points ? Le holding de M. Del Vecchio, Delfin, reproche au 'parti français' le 'non-respect des devoirs de coopération loyale et de bonne foi prévus par l'accord de rapprochement de 2017, entre Essilor et Delfin qui se trouve privée de sa part égale d'autorité dans le management', indique un communiqué paru hier. Delfin vise ainsi la nomination de plusieurs hauts dirigeants d'EssilorLuxottica en provenance d'Essilor International.

Hubert Sagnières dément : il s'agissait 'd'une obligation liée aux accords de rapprochement prévoyant qu'une équipe de direction appropriée soit immédiatement en place, ce qui est requis pour la holding d'un groupe coté en Bourse', affirme-t-il dans une lettre rendue publique hier... sous le seul timbre d'Essilor, et d'ailleurs signée par lui-même en tant que 'président d'Essilor International'.

'Les représentants de Luxottica étaient clairement au courant de ces nominations au moment du 'closing' de la transaction en octobre 2018', ajoute-t-il, en qualifiant de 'purement et simplement inexactes' les déclarations de Delfin concernant les statuts et rémunérations des cadres concernés. Tout en contestant fermement, à nouveau, qu'il s'agisse d'une violation de l'accord.

Hubert Sagnières a beau jeu de mettre en avant les déclarations - répétées - de Leonardo Del Vecchio de l'automne dernier : dans la presse italienne, l'Italien avait ouvertement souhaité que son poulain (et DG de Luxottica), Francesco Milleri, prenne la direction générale d'EssilorLuxottica au terme de la transition managériale. Sauf que ces 'souhaits' ne semblent guère respecter l'esprit du processus de nomination prévu, qui d'ailleurs vient tout juste de commencer...

'Dans ce poste, M. Milleri aurait le pouvoir d'imposer son style de management et ses vues personnelles et, à ce titre, il enfreindrait l'accord que nous avons collectivement approuvé et adopté', ajoute M. Sagnières dans sa lettre.

Autre différend : dans son communiqué d'hier, 'Delfin ne peut une nouvelle fois que démentir toute tentative de prise de contrôle d'EssilorLuxottica, qu'elle soit ' rampante ' ou ' de fait '', indique-t-elle, reprenant des accusations de M. Sagnières. Qui n'en démord pas : 'En dépit des dénégations de Delfin et de ses représentants, il est devenu clair que M. Del Vecchio veut prendre le contrôle d'EssilorLuxottica sans payer de prime aux actionnaires', réaffirme le patron français.

Constatant que le conseil d'administration du 18 mars dernier, 'bloqué', n'a pas permis de trancher, Delfin estime ne pas avoir d'autre choix que de porter l'affaire devant l'instance arbitrale, par nature tierce et externe. 'Le recours à la Chambre de commerce Internationale était à ce jour la solution qui s'imposait et était la plus appropriée pour préserver l'investissement de tous les actionnaires', ne craint pas d'écrire Delfin. Bref, il faut maintenant attendre la décision des arbitres.

En attendant, M. Sagnières reste convaincu de l'intérêt du rapprochement, qu'il défend, et indique d'ailleurs : 'Ces polémiques ne nous empêchent pas de continuer à travailler pour mettre en oeuvre les différentes actions nécessaires à l'intégration des deux groupes.'

Reste que les synergies - toujours chiffrées entre 400 et 600 millions d'euros, mais désormais sur cinq ans, déclarait M. Del Vecchio la semaine dernière - peuvent difficilement se concrétiser dans un tel contexte managérial. Or d'un point de vue financier, il s'agit du principal intérêt d'une fusion.


Pas étonnant que la capitalisation boursière d'EssilorLuxottica, désormais légèrement inférieure à 42 milliards d'euros, en ait souffert. En janvier 2017, l'addition de celles des deux groupes était de l'ordre de 50 milliards.

EG


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