Surprise à la veille de Noël. Euronext, l'opérateur des bourses de Paris, Amsterdam, Bruxelles, Lisbonne et Dublin, dégaine une offre de rachat à 145 NOK par action d'Oslo Bors, pour une facture globale qui équivaut à 625 millions d'euros. Une belle prime de 34% sur la moyenne des cours des trois mois précédents, mais une offre qui n'a pas été adoubée par le conseil d'administration norvégien. Dans son communiqué, Euronext explique avoir approché ce conseil en vue d'obtenir son soutien, mais sans succès. A défaut d'appui des administrateurs, Euronext a sécurisé l'apport 50,5% du capital, via des engagements irrévocables signés avec plusieurs actionnaires. Le groupe dirigé par Stéphane Boujnah est donc virtuellement propriétaire de l'opérateur norvégien, s'il parvient à remplir les autres conditions de l'offre : feu vert des autorités politiques et réglementaires locales, aval de l'assemblée générale des actionnaires d'Euronext et finalisation des opérations avant le 31 août prochain.
 
Un jour, mon prince viendra
 
Le conseil d'administration de la Bourse d'Oslo n'a manifestement pas apprécié cette intervention à la hussarde. Dans les milieux financiers, les OPA hostiles ne sont pas aussi répandues que les images d'Epinal veulent bien le faire croire. Et si Euronext se défend d'avoir des intentions hostiles (le terme "friendly" a été cité à tout bout de champ lors de la conférence téléphonique du 14 janvier), la société s'est affranchie de l'avis des administrateurs norvégiens. Vexés, c'est fort logiquement qu'ils sont partis en quête d'un "chevalier blanc", qui n'a pas tardé à se manifester. C'est le Nasdaq qui a revêtu sa plus belle armure pour surenchérir à 152 NOK par action avec, cette fois, le soutien unanime du conseil et du haut management. Le rival d'Euronext a lui aussi son parterre de fans, puisqu'il a sécurisé l'apport de 35,20% du capital de façon irrévocable, "même en cas d'offre supérieure". Deux gros actionnaires se sont rangés du côté du Nasdaq, l'assureur-vie de DNB, Livsforsikring, avec ses 19,82% et le fonds de pension norvégien Kommunal Landspensjonskasse, à la tête de 10% du tour de table.
 
Bilan des courses, ceteris paribus, Euronext va se retrouver avec 50,5% du capital et le Nasdaq avec 49,5%, en partant du principe que les actionnaires indécis opteront pour l'offre la plus généreuse. Mais alors pourquoi le Nasdaq a-t-il déposé une offre qu'il est sûr de voir échouer ? Parce que les mathématiques pourraient être contrariées. Par le calendrier d'abord, même si cette menace n'apparaît pas comme la plus dangereuse. Les actionnaires qui soutiennent Euronext seront déliés de leurs engagements si l'initiateur ne déclare pas l'offre inconditionnelle avant le 31 août prochain à 16h30. Par le régulateur ensuite. Si l'antitrust n'est pas concerné, la transaction doit être validée par le ministère norvégien des finances et le gendarme financier local. Les analystes ne sont pas tous d'accord sur la position de l'Etat. "Le vote unanime du conseil et du management d'Oslo Bors et le fait que 35% des actionnaires aient accepté l'offre du Nasdaq pourrait influencer la décision du régulateur", estime Michael Werner, de la banque suisse UBS. Le Nasdaq a aussi fait vibrer la corde locale en rappelant qu'il est largement implanté en Scandinavie. Et c'est la vérité, puisqu'il officie déjà en Suède, en Finlande, au Danemark, en Islande et dans les trois Républiques Baltes. Finalement, seule Oslo manque au tableau. Farhad Moshiri, du bureau d'études AlphaValue, pense en revanche que les autorités ne bloqueront pas la transaction. Les paris sont lancés.
 
Des actionnaires francs-tireurs
 
La situation est tout à fait atypique. Elle s'explique par la genèse de l'opération. Début décembre, Euronext est sollicité par un groupe d'actionnaires d'Oslo Bors qui souhaitent monétiser leurs participations, quel que soit l'avis de la société. Ce groupe a contacté d'autres prétendants potentiels, dont le Nasdaq d'ailleurs, qui n'a pas donné suite. Dans le prospectus de son offre en surenchère, l'Américain brosse ex post facto les administrateurs dans le sens du poil, en expliquant que participer à cette coterie "lui aurait expressément interdit d'aller discuter d'une potentielle acquisition directement avec la société, son conseil d'administration et ses plus importants actionnaires, ce que le Nasdaq considérait comme fondamental pour faire une offre sur la société". Mieux qu'un chevalier blanc ce Nasdaq, un vrai paladin.
 
Euronext, à l'inverse, a choisi de profiter de l'aubaine. Malgré sa "surprise" d'être sollicité de cette manière, Stéphane Boujnah, le PDG d'Euronext, a fait monter un projet par ses équipes en urgence. Enfin en urgence, pas tout à fait. Moins d'un an avant, les deux opérateurs boursiers avaient déjà discuté mariage, à tel point qu'une proposition de rachat était sur la table. Mais les Norvégiens l'avaient repoussée. Un an plus tard, l'offre effectivement déposée serait très proche de celle qui avait été discutée initialement, concède-t-on chez Euronext. C'est même l'un des arguments du groupe pour justifier son caractère non-hostile. Une thèse cocasse puisque les administrateurs d'Oslo Bors pourraient facilement répliquer qu'à partir du moment où ils avaient refusé le projet, le déposer quand même n'a rien de très amical.
 
Euronext en position de force
 
Soutien du conseil ou pas, Euronext reste bien mieux placé que le Nasdaq pour l'emporter, malgré son offre moins-disante. Stéphane Boujnah a largement insisté sur la solidité des engagements d'apport qui ont été signés, même en cas de surenchère. Pour s'offrir davantage de sérénité et de légitimité, Euronext pourrait même ajuster le prix de son offre, au besoin, pour convaincre les actionnaires indécis, qui représentent quelque 14,3% du capital. Dès lors, le principal risque semble politique. Le groupe a rencontré début janvier des représentants du ministère des finances et de la FSA pour leur exposer le projet. Les régulateurs vont réaliser un examen pragmatique "afin de déterminer si Euronext est un propriétaire compétent et honorable", selon les mots de Boujnah, qui ne doute pas une seconde que son entreprise sera couronnée de succès.
 
A moins que le bras de fer scandinave ne provoque une réaction en chaîne. "La seule façon pour le Nasdaq de sécuriser la transaction serait de se lancer à l'assaut d'Euronext", note Farhad Moshiri, qui "ne peut pas exclure cette hypothèse", compte tenu "de la présence européenne et scandinave du Nasdaq, du niveau élevé de synergie dans ce secteur et de la belle dynamique d'Euronext depuis l'IPO de 2014". Mais c'est une autre histoire.