Photos de Michal Cizek, vidéo de Jan Flemr

PRAGUE (awp/afp) - Le jaune intense des fleurs de colza a envahi les plaines tchèques, avec pour premier effet la colère des gens contre ses effets pour l'environnement et le Premier ministre accusé d'en tirer de gros profits.

"Les gens disent que cela pue, que son jaune est laid, que cela semble envahissant. Mais, difficile d'accuser une plante. Le problème est l'usage que nous en faisons", dit le biologiste Jakub Hruska, de l'Académie tchèque des Sciences.

Cultivé à travers le monde, le colza sert à la production d'huile alimentaire et de biocarburant. En République Tchèque, ces deux utilisations sont à peu près égales.

"Nous ruinons le paysage, l'eau, la terre et la biodiversité", affirme Hruska à l'AFP, évoquant les effets des herbicides et des engrais.

Les champs de colza couvrent 16% des terres arables en République Tchèque, ce qui donne au pays la première place dans l'Union européenne.

Le Premier ministre Andrej Babis, à la tête du gouvernement minoritaire de centre-gauche, est perçu comme le premier bénéficiaire de cette activité, ayant fait fortune comme patron du groupe Agrofert qui couvre le cycle complet de la culture et de l'utilisation de la plante.

Des entreprises d'Agrofert cultivent le colza, produisent engrais et pesticides, vendent les technologies agricoles et transforment le colza en ester méthylique d'huiles végétales (EMHV) ou biodiesel, que l'on ajoute au diesel, conformément à une loi tchèque inspirée par la directive européenne sur les biocarburants.

Deuxième fortune de la République Tchèque, Babis déclare avoir remis Agrofert aux mains d'une société fiduciaire pour éviter un conflit d'intérêt en tant que Premier ministre et magnat des affaires.

Mais l'Union européenne se penche sur le double rôle de Babis, responsable politique distribuant les subventions et homme d'affaires bénéficiaire.

Modèle d'affaires

"L'huile de colza est bonne pour la friture et le colza est aussi un aliment pour les abeilles", relève l'analyste agricole Petr Havel.

"C'est une plante de culture, peu résistante aux insectes, ce qui fait qu'elle a besoin de traitement chimique puissant."

"Les pesticides restent dans le sol, puis sont emportés par l'eau de pluie dans les eaux souterraines et les rivières. Ils tuent des microorganismes et réduisent la biodiversité."

Mais pour les paysans, ce qui compte, ce n'est pas la pollution, mais la rentabilité, à peu près double par rapport au blé.

"Il y a un bon marché pour le colza, qui bénéficie de la réduction fiscale liée à la production de biocarburant", dit Hruska.

"C'est le modèle d'affaires d'Agrofert et ils s'efforceront de le protéger."

A boulets rouges

L'opposition a tiré à boulets rouges sur Babis en avril, après que le gouvernement a décidé que les bio-carburants subventionnés devaient continuer à être ajoutés au diesel.

Ainsi, le diesel tchèque doit contenir au moins 6% de biocarburant EMHV qui est fabriqué en grande partie par l'entreprise PREOL du groupe Agrofert et qui bénéficie d'une réduction de la taxe d'accise.

Veronika Vrecionova, députée du parti démocratique civique (ODS, opposition de droite), a dénoncé un vote "inspiré non par des faits mais par les intérêts du Premier ministre".

Un groupe qui s'intitule "Pour un paysage tchèque sans colza" a attiré près de 5.000 sympathisants sur Facebook, tandis que lors d'une manifestation on a vu une affiche avec un Babis déclarant "Je veux un Agrofertistan tout-puissant".

Havel et Hruska affirment que les biocarburants de première génération ne sont plus considérés comme utiles, car ils ne réduisent pas vraiment les émissions de gaz à effet de serre.

"Mais Agrofert insistera sur leur utilisation, parce qu'ils sont au pouvoir. C'est ça le plus gros problème", souligne Hruska.

Le passage aux biocarburants plus écologiques, comme en Europe de l'Ouest, où l'on utilise la biomasse plutôt que le biodiesel, risque de prendre du temps, car les sociétés tchèques ne disposent pas encore de technologies nécessaires.

"Le gouvernement devrait proposer un passage graduel. Au lieu de s'endormir et ignorer l'évolution des technologies", a dit Havel.

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