* L'accord avec l'UE menacé par des démissions au gouvernement

* Sans accord, un gel des chaînes d'approvisionnement est redouté

* Banque, distribution et BTP chutent en Bourse

par Kate Holton, Andrew MacAskill et Georgina Prodhan

LONDRES, 15 novembre (Reuters) - Plusieurs dirigeants d'entreprises se sont alarmés jeudi de la crise politique en Grande-Bretagne, le projet d'accord de sortie de l'Union européenne conclu entre Londres et Bruxelles étant perçu comme la seule chance de préserver une certaine stabilité dans les relations commerciales après le Brexit fin mars.

Au lendemain de la validation du projet d'accord par son gouvernement, la Première ministre britannique, Theresa May, a dû faire face à la fois à la démission de plusieurs membres de son cabinet, dont le ministre du Brexit Dominic Raab, et à la perspective d'un rejet du projet par le parti unioniste nord-irlandais DUP, dont dépend sa majorité parlementaire.

La livre sterling a chuté, de même que les rendements des emprunts britanniques. A la Bourse de Londres, les secteurs de la banque, de la distribution et du bâtiment ont été les plus attaqués.

"La situation de ce matin sape la confiance de la City et du pays", a déclaré Martin Sorrell, fondateur et ex-PDG du groupe publicitaire WPP et l'un des hommes d'affaires les plus connus de Grande-Bretagne.

L'Union européenne est le principal partenaire commercial du Royaume-Uni, comptant pour 44% des exportations et 53% des importations britanniques.

Après 45 ans passés au sein de l'Union européenne, des industries comme la défense, l'automobile et l'aérospatiale ont créé des chaînes d'approvisionnement complexes qui reposent sur la livraison sans à-coups et "pile à temps" de milliers de pièces détachées de part et d'autre du Channel.

LES SEULES CARTES EN MAIN

Les chefs d'entreprise craignent un Brexit sans accord où les contrôles aux frontières engorgeraient les ports et perturberaient les chaînes d'approvisionnement vitales pour des groupes aussi importants économiquement que Rolls-Royce et BAE Systems.

Le PDG du groupe français JCDecaux, dont la Grande-Bretagne est le troisième marché et représente environ 10% de ses revenus, a qualifié la situation de "très grave", estimant qu'elle renforce les incertitudes sur le marché de la publicité.

Dans l'une des plus grandes banques britanniques, un cadre dirigeant a eu ce commentaire : "Il est temps d'avoir une certaine stabilité pour que les entreprises puissent avoir une certaine visibilité. C'est ce dont le pays a besoin."

"Le reste du monde nous regarde en riant. Quand je voyage, tout le monde se demande si nous sommes devenus complètement fous", a-t-il dit, en qualifiant le gouvernement actuel de plus désastreux qu'il ait jamais vu.

Les dirigeants du patronat qui avaient été informés mercredi du projet d'accord l'avaient salué comme la meilleure chance de parvenir à un compromis qui garantirait une période de transition et éviterait le chaos d'un Brexit sans accord.

Les services de Theresa May avaient aussi publié les déclarations de plusieurs grands groupes comme Diageo, le London Stock Exchange et Royal Mail se félicitant du projet d'accord obtenu avec l'exécutif européen.

"La plupart des hommes d'affaires sont pragmatiques et ce qu'il faut, c'est jouer avec les cartes qui ont été distribuées plutôt que souhaiter une meilleure main", a déclaré Roger Carr, président de BAE Systems, jeudi matin sur la BBC.

Selon Iain Anderson, président exécutif de la firme Cicero, qui représente de nombreuses sociétés financières, la plupart des dirigeants d'entreprises n'aiment pas le projet d'accord présenté par Theresa May mais ont compris qu'il n'y avait maintenant pas d'autre choix.

"INSTABILITÉ GÉNÉRALISÉE"

"Les entreprises assistent avec horreur à ces démissions", a-t-il dit. "Hier, nous avions un plan et de la stabilité et aujourd'hui, nous ne les avons plus."

"Nous n'avons plus le temps de négocier un autre accord. Nous pensions avoir de la stabilité. Nous avons maintenant une instabilité généralisée."

Le directeur de la branche britannique du groupe industriel allemand Siemens, qui emploie 15.000 personnes au Royaume-Uni, a réitéré son appel à soutenir le projet d'accord, alors que de hauts responsables politiques appelaient à la démission de Theresa May.

"Nous souhaitons que toutes les parties restent calmes, examinent les faits et soutiennent ce projet afin de donner aux entreprises britanniques des assurances", a dit Jürgen Maier dans une déclaration transmise par courriel.

Même si Theresa May survit à la crise au sein de son gouvernement, ses chances de remporter un vote au Parlement en faveur de son projet d'accord sont jugées minces.

Des parlementaires de tous les horizons politiques ont estimé que cet accord laisserait la Grande-Bretagne liée par les règles de l'UE sans qu'elle ait son mot à dire.

"Il va falloir que les marchés s'effondrent et leur fasse peur à tous pour qu'ils votent pour (l'accord)", a déclaré un dirigeant d'un groupe du FTSE 100, l'indice phare de la Bourse de Londres.

Selon des sources, les autorités britanniques de régulation financière étaient en contact jeudi avec les principales banques pour être informées de la situation sur les marchés. Selon une des sources, la demande émanait directement du gouverneur de la Banque d'Angleterre (BoE), Mark Carney. (Dominique Rodriguez pour le service français, édité par Bertrand Boucey)