par Kate Duguid

NEW YORK, 31 décembre (Reuters) - Les remous boursiers ont accaparé l'attention des investisseurs et des médias mais un autre marché financier, celui de la dette d'entreprise notée en catégorie d'investissement, aura réalisé sa pire performance depuis la crise financière mondiale survenue il y a une dizaine d'années.

Les titres de General Electric ont plombé les deux marchés, le conglomérat fondé voici 126 ans par Thomas Edison ayant accumulé les pertes et dépréciations d'actifs.

L'action GE aura perdu autour de 56% en 2018, quatrième plus forte baisse des valeurs composant l'indice S&P-500.

Les 120 milliards de dollars de dette émise par GE n'ont pas autant souffert mais ces titres, longtemps une référence des gérants du taux fixe de par le monde, sont parmi ceux qui ont le plus pesé sur les grands indices qui suivent la performance de la dette corporate en catégorie d'investissement, un marché évalué à 6.000 milliards de dollars (5.250 milliards d'euros).

Les obligations de GE ont plongé de 14%, une sous-performance criante pour le marché obligataire et les analystes craignent que ce ne soit qu'un début pour l'ensemble de la dette corporate non spéculative.

Selon l'indice Bank of America/Merrill Lynch, le rendement de ce segment du marché financier est de -2,5%, un recul d'une ampleur sans précédent depuis 2008.

Les entreprises américaines ont amplement profité de taux d'intérêt ultra-bas durant la décennie qui a suivi la crise financière, et leur endettement n'en a que plus gonflé au point d'atteindre les 9.100 milliards de dollars, près du double du montant de 4.700 milliards de 2007, selon la Securities Industry and Financial Markets Association.

Mais la Réserve fédérale a décidé de remonter progressivement les taux d'intérêt depuis décembre 2015 et les investisseurs en viennent à revoir leur stratégie vis-à-vis de ce type d'actifs.

C'est ainsi que les obligations émises par des dizaines de sociétés se traitent actuellement comme si elles n'étaient plus notées en catégorie d'investissement.

Avec la remontée des taux d'intérêt, "les maillons faibles vont être mis à nu", observe Kathleen Gaffney (Eaton Vance).

A la suite de la chute de l'action, la dette de GE représente à peu près le double de sa capitalisation boursière de 63 milliards de dollars.

UN ENCOURS DE $3.000 MILLIARDS

Outre GE, Ford Motor, AT&T, Kinder Morgan , CVS Health, General Motors et Verizon Communications figurent aussi parmi les sociétés qui ont fait pâle figure cette année sur le marché obligataire.

Parmi les 20 émetteurs tout en bas de l'échelle des performances, 14 sont notés "BBB", le segment le plus bas du grade d'investissement.

La note de la dette de GE a été ramenée à BBB+, trois crans au-dessus de la catégorie spéculative ("junk") et plus du tiers des obligations du groupe se traitent déjà à des niveaux spéculatifs.

L'encours de la dette corporate notée BBB est de l'ordre de 3.000 milliards de dollars, soit à peu près la moitié du marché en catégorie d'investissement, contre 20% à peu près il y a une dizaine d'années, observe Monica Erickson (DoubleLine Capital).

"Le 'BBB' représentant dans les 3.000 milliards de dollars, il sera peut-être difficile de trouver preneur pour les 1.200 milliards de dollars du marché à haut rendement" en période de vaches maigres, dit-elle.

Bon nombre de gérants ont l'obligation de ne conserver que du papier à grade d'investissement dans leurs portefeuilles et ils risquent donc de devoir vendre à vil prix s'il y a des déclassements en "junk". Si jamais un tel déclassement concernait GE, ses titres représenteraient à eux seuls 10% environ du marché à haut rendement.

Cela étant, tout le papier noté BBB ne sera pas déclassé dans le cas d'une récession mais "il y aura sans doute un pourcentage de ce marché (à catégorie d'investissement) qui passera dans le haut rendement plus élevé que la normale d'un point de vue historique", ajoute Monica Erickson.

"VOUS AVEZ COMBIEN DE GE?"

Larry Culp, le nouveau patron de GE, tente de rétablir la rentabilité et de réduire fortement la dette après la perte de 22,8 milliards de dollars subie au troisième trimestre.

Le dividende, jadis copieux, a été sabré pour être ramené à un cent par action et Culp a dit qu'il procèderait "de toute urgence" à des cessions d'actifs.

Les créanciers obligataires et les agences de notation ne sont pour l'instant guère impressionnés.

Les trois grandes agences de notation ont réduit la note de GE par deux fois au cours des 13 derniers mois. GE est noté "BBB+" par Standard & Poor's, et les notes de Moody's et de Fitch sont équivalentes.

Quelque 43 milliards de dollars de dette de GE valent moins de 90 cents par dollar et pour plus de 17,5 milliards de dollars de dette, le prix est de moins de 80 cents par dollar. Au plus bas, on trouve l'emprunt perpétuel de deux milliards de dollars , placé en 2015: il se traite avec une décote de 37%, soit 63 cents par dollar, et son rendement atteint 17,5%, alors que son coupon n'est que de 4,1%.

Par comparaison, le rendement moyen du papier BBB est de 4,7%, selon l'indice BAML.

Le coût de couverture d'un défaut sur la dette de GE est proche de son niveau le plus élevé depuis la crise financière.

Dans ce contexte, le plus gros risque auquel l'investisseur obligataire est exposé est de ne pas pouvoir vendre ses titres si les fondamentaux du crédit de l'entreprise se dégradent fortement.

"Qu'est-ce que les clients ou les chefs demandent à tout le monde? C'est 'Vous avez combien de GE?'", observe un investisseur. "Il y a beaucoup de vendeurs mais pas d'acheteurs". (Wilfrid Exbrayat pour le service français, édité par Blandine Hénault)