Francfort (awp/afp) - Après avoir confirmé sa politique monétaire, la Banque centrale européenne a lancé jeudi une revue de sa stratégie, son grand chantier de l'année, et pourrait atténuer son pessimisme sur les risques économiques.

Comme prévu, le conseil des gouverneurs de l'institution réuni à Francfort a laissé le principal taux d'intérêt à zéro, tandis que les banques se verront appliquer un prélèvement de 0,50% sur les dépôts qu'elles confient à la banque centrale au lieu de les prêter à leurs clients.

Ces taux resteront à leur niveau actuel ou "plus bas" jusqu'à ce que l'institution voit l'inflation en zone euro revenir dans les clous de son mandat, soit un peu en dessous de 2%.

Les gardiens de l'euro ont par ailleurs "décidé de lancer une revue de la stratégie de politique monétaire de la BCE", chantier annoncé en décembre et dont les détails doivent être communiqués à 13H30 GMT.

En bientôt trois mois à la tête de l'institution, Christine Lagarde, appréciée pour sa gestion collégiale et son abord chaleureux, s'est évertuée à ressouder les rangs après un paquet de mesures imposées en septembre par son prédécesseur Mario Draghi en fin de mandat, au prix de divisions internes sans précédent.

La Française est désormais attendue sur un sujet de fond: préciser les contours de la revue stratégique de politique monétaire promise cette année.

Examen stratégique

L'exercice n'a pas été mené depuis 2003, et vient après huit ans d'un mandat de Mario Draghi scandé par les crises.

La partie "la plus importante" du réexamen "portera sur la définition de la stabilité des prix et de la manière de l'atteindre", estime Carsten Brzeski, économiste chez ING.

Cette stabilité se définit depuis 2003 par un objectif d'inflation "proche mais inférieur à 2%", derrière lequel la BCE court depuis sept ans et qu'elle pourrait reformuler en introduisant l'idée de "symétrie".

L'inflation pourrait ainsi dévier d'un côté comme de l'autre autour d'un pivot à 2%, sans que cela pousse l'institution à ajuster immédiatement sa politique.

"Le résultat de l'examen stratégique déterminera si les taux d'intérêt négatifs peuvent se terminer dans environ deux ans ou devenir une caractéristique permanente de la politique monétaire de l'euro", a commenté jeudi Friedrich Heinemann, de l'institut ZEW.

Cette clarification serait en outre "utile pour limiter les désaccords au sein du conseil des gouverneurs", ajoute Alain Durré, économiste en chef chez Goldman Sachs.

Comme Mme Lagarde a promis de "retourner chaque pierre" en consultant large toute l'année, la réflexion stratégique devrait également inclure les effets secondaires causés par des outils exceptionnels comme le taux négatif et, point nouveau, la prise en compte des enjeux climatiques.

Il s'agirait par exemple de "verdir" les rachats d'obligations publiques et privées, le fameux "QE" par lequel la BCE a engagé plus de 2.600 milliards d'euros depuis 2015 pour soutenir l'économie, en l'orientant vers des titres respectant des critères environnementaux.

Analyse des risques

Pour sa deuxième conférence de presse à la tête de la BCE, Mme Lagarde devrait également affiner son évaluation des risques pesant sur la croissance, un passage clé scruté par les acteurs financiers.

Il lui faudra peser ses mots après la nouvelle menace du président américain Donald Trump mercredi de surtaxer les voitures européennes si les Européens n'abandonnent pas leurs projets de taxe numérique, ou ne règlent pas leur différend commercial avec les Etats-Unis.

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a répliqué qu'un tel accord devrait être possible "dans quelques semaines", à l'image de la trêve sino-américaine, ce qui a surpris à Bruxelles où aucun des Etats membres interrogés par l'AFP n'a dit avoir été préalablement sondé.

Les risques conjoncturels semblent eux s'atténuer, la récession dans le secteur manufacturier en zone euro paraissant toucher un plancher tandis que l'inflation est remontée à 1,3% en décembre.

Au final, la patronne de la BCE devrait donc livrer à l'exercice d'équilibriste en faisant une évaluation plus optimiste du risque pesant sur la croissance sans avoir annoncer de "tournant vers une politique plus stricte", résume M. Durré.

afp/rp