Paris (awp/afp) - Surveillée comme le lait sur le feu, la dette des entreprises n'en reste pas moins une grosse source d'inquiétude, tant la capacité des groupes à honorer leurs traites sera la clé d'une convalescence réussie de l'économie après la crise sanitaire.

Son importance explique d'ailleurs à la fois l'ampleur du choc début mars sur les marchés où les groupes empruntent et échangent leurs titres de dette, mais aussi les sommes colossales déployées depuis pour faire repartir la machine.

"Nous avons eu une chute extrêmement brutale" début mars, "mais les gouvernements et les banques centrales ont mis en place très vite des plans massifs", témoigne auprès de l'AFP Vincent Marioni, directeur Europe des investissements Crédit à Allianz GI. "En 2008, il y avait eu une forte inertie, mais il y avait aussi moins d'endettement".

Avec des banques centrales très généreuses et des taux d'intérêt très bas, les sociétés ont en effet emprunté à tour de bras. Selon un rapport de l'OCDE, le stock d'obligations, hors banques, a "atteint un niveau record proche de 13.000 milliards de dollars" fin 2018, environ le double comparé à dix ans plus tôt.

"En 2008, le marché était resté fermé six semaines", se remémore Félix Orsini, responsable mondial des marchés de capitaux de dette à Société Générale CIB.

"Anges déchus"

Cette fois-ci, en Europe, "il s'est fermé le 4, 5 mars pour se rouvrir le 20 et depuis nous assistons à un retour massif avec tous les jours entre 4 et 9 opérations, c'est du jamais vu", relate-t-il.

Même constat pour Frédéric Gabizon, responsable pour le marché obligataire de HSBC France avec des opérations qui atteignent des "niveaux stratosphériques, sur une période très concentrée".

"Beaucoup de trésoriers d'entreprise ont vécu 2008. Ils sont prudents et préfèrent lever des fonds dès maintenant, quitte à payer un peu plus d'intérêts", explique M. Orsini.

Si le retour des emprunteurs s'est accompagné d'un ajustement à la hausse des taux, ils n'explosent pas pour autant.

Le taux d'intérêt annuel tourne en moyenne autour de 2%, "ce qui reste bas, note M. Orsini, surtout comparé à janvier 2009 où quand le marché s'est rouvert, ils avoisinaient les 8%".

Si ce niveau reste raisonnable pour les emprunteurs, pour les investisseurs qui sortent de plusieurs années avec des intérêts souvent proches de zéro, c'est presque Byzance.

Mais ce retour en grâce ne concerne pour le moment que les entreprises les mieux notées, celles qui bénéficient déjà du soutien des banques centrales, BCE en tête.

Pour l'instant, rare sont ceux notés en catégories dites "spéculatives" qui ont tenté leur chance.

Or, l'explosion des abaissements de notes par les agences de notation fait peser un risque sur nombre de sociétés qui redoutent d'y basculer, devenant ce que le marché appelle "anges déchus" ("fallen angels") et de voir les investisseurs leur tourner le dos.

ni noir ni blanc

"Il va y avoir une bifurcation très nette entre les entreprises les mieux et les moins bien notées", estime Isabelle Mateos y Lago, directrice adjointe de l'équipe en charge des institutions souveraines à BlackRock.

"Toutes les entreprises qui ont beaucoup d'endettement sont regardées comme extrêmement fragiles (...), mais il n'y aura pas de réponses blanches ou noires, ce sera vraiment du cas par cas", selon elle.

"La crainte des anges déchus ne conduit pas forcément au défaut", nuance également M. Marioni. "Il y a une quinzaine d'années, c'était la fin du monde, aujourd'hui le marché s'est habitué".

Ce qui ne fait de doute pour personne, résume Mme Mateos y Lago, "c'est que la dette de tous les acteurs économiques va s'accroître" et "cela constitue l'une des principales contraintes à la vigueur de la reprise de l'économie".

"Les résultats des entreprises devraient permettre de se rendre compte des dégâts et de voir l'état précis des entreprises", mais il faudra attendre au-delà du premier trimestre, qui n'intègre que quinze jours de confinement, observe M. Gabizon.

De l'avis général, le salut reste très dépendant du temps que mettra la crise sanitaire à se résoudre.

Comme le souligne M. Marioni, "si cela reste condensé sur une période de deux à trois mois, cela sera gérable".

afp/rp