Paris (awp/afp) - Confrontée à une crise mondiale inédite, l'industrie du luxe a les yeux rivés vers la Chine, son marché-clé qui commence à se relever de la pandémie de Covid-19, afin d'évaluer ses possibilités de reprise et organiser son rebond.

"Le moteur a calé. Il va repartir, mais avec quelle intensité ?", s'interroge Arnaud Cadart, gérant de portefeuilles chez Flornoy & Associés.

Pour cet expert du luxe, "les grands groupes vont devoir absorber un choc d'une violence rare. Mais ils vont passer le cap car ils sont très solides financièrement. Et même s'ils vont devoir s'adapter, ils pourraient ressortir plus forts de cette crise", comme à l'issue des précédentes, indique-t-il à l'AFP.

En moins de trois mois, toutes les grandes marques ont dû fermer l'essentiel de leurs boutiques dans le monde.

Elles ont aussi stoppé, en grande partie, la production de vêtements et accessoires en ateliers - concentrés en Italie et en France - pour faire face aux mesures de confinement et à l'effondrement de la demande.

L'impact de la pandémie sur les achats de luxe sera bientôt connu: le 16 avril, le géant LVMH ouvrira en France le bal des publications financières du premier trimestre. Il a déjà prévenu anticiper une baisse de 10 à 20% de ses ventes, tandis que Kering table sur un recul de 13 à 14%.

En Italie, la griffe Ferragamo a annoncé mardi une baisse de 30% de son chiffre d'affaires trimestriel.

Pour l'ensemble du secteur, le cabinet Bain & Co prédit un recul de 25 à 30% des ventes au premier trimestre.

Et selon 28 hauts dirigeants de "grandes marques de luxe" interrogés par le cabinet d'analystes Bernstein et la société de conseil Boston Consulting Group (BCG), il faudra en moyenne 7,5 mois pour retrouver un niveau d'activité normal.

L'industrie du luxe est en "terra incognita" et va devoir imiter "les ours en hiver: préserver ses organes vitaux, éliminer la graisse et passer en mode économie d'énergie. Mais l'idée est aussi de garder le plus possible de personnel, et les magasins qui sont un atout-clé", estiment Bernstein et BCG.

"Acheter de la liberté"

Pour se maintenir en activité et participer à l'effort collectif, de nombreuses marques françaises et italiennes - Prada, Armani, Hermès, Chanel, Dior, Saint Laurent, Gucci ou encore Guerlain - se sont ainsi mises à fabriquer masques, surblouses ou gels hydroalcooliques.

Et toutes scrutent la Chine: premier marché à être touché par le Covid-19, il est le premier à relever la tête et représente surtout 35% des achats de luxe dans le monde en valeur.

"L'Asie, et la Chine en particulier, sont très regardées, et c'est là où les efforts vont être mis par les groupes. C'est là aussi où l'envie de consommer sera la plus forte, car c'était déjà le cas avant d'entrer dans le dur" de la crise, résume Arnaud Cadart.

"Comme les déplacements touristiques des Chinois devraient baisser significativement en 2020, il y aura sans doute aussi un report des dépenses (de luxe) sur le sol chinois", renchérit Swetha Ramachandran, gérante du fonds "GAM Luxury Brands Equity" chez GAM Investments.

Comme d'autres experts, Mme Ramachandran évoque le "revenge spending", soit les dépenses de "revanche" qui vont compenser un long confinement sans shopping.

"Après le deuil, le traumatisme, les gens voudront acheter de la beauté, de la liberté", résume à l'AFP Carlo Alberto Carnevale-Maffè, professeur de stratégie à l'Université Bocconi de Milan.

Pour lui, "le secteur du luxe repartira avant les autres: les 1% de riches seront toujours aussi riches, voire plus relativement aux autres, car leur patrimoine n'a pas été détruit et leurs revenus (auront été) affectés de manière limitée, contrairement aux gens plus modestes".

M. Carnevale-Maffè estime également qu'"après le confinement, la mort et une vie quasi militaire, il y a aura une explosion de la créativité, elle sera exaltée comme après une guerre".

L'étude Bernstein-BCG temporise: "Une euphorie +post-guerre+ dépendra de la solution trouvée au Covid-19: médicament ou vaccin, ou simplement fin de l'épidémie". Elle juge qu'une absence de traitement aurait "un impact à moyen-terme sur le comportement des consommateurs: moins de voyages, moins de sorties, ce qui va ralentir un retour à la normale".

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